De notre envoyé spécial au TGI de Paris,

Il flottait comme un je-ne-sais-quoi d’excitation ce jeudi après midi devant la petite salle d’audience 4.01 du tribunal de Paris. Il faut dire que ce n’est pas tous les jours que Didier Deschamps, l’homme aux deux Coupes du monde dans sa tirelire, se déplace en personne pour affronter dans le ring la plus grande gueule du microcosme médiatico-sportif français, Daniel Riolo, le journaliste/éditorialiste de l’After Foot sur RMC. « C’est quoi cette cohue, c’est pour Sarko encore ? », demande une badaude qui passait par là. La force de l’habitude, probablement. Non, chère madame, c’est pour le sélectionneur de l’équipe de France. « Ah tout ça pour ça, c’est nul », embraye une avocate que l’on a tenue au courant par la même occasion.

Si celles-ci sont déçues, ce ne fut pas notre cas au cours de cinq heures d’audience passionnée, passionnante et inédite, pour savoir si oui ou non Daniel Riolo s’était rendu coupable de diffamation à l’encontre de Deschamps. La star de l’After avait en effet accusé à deux reprises, en janvier et en mars 2023, Deschamps de mentir aux Français au sujet de la blessure de Karim Benzema à la Coupe du monde 2022. Blessure qui avait alors précipité son départ du Qatar dans des conditions un peu particulières, en catimini, alors que tout le groupe France dormait à poing fermé dans son hôtel de Doha. Mais il ne s’était pas arrêté là, ce serait mal le connaître, et avait ajouté que Deschamps « a été dans toutes les histoires belles, mais également louches du football français ».

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J’accepteRiolo dégaine le premier, Deschamps hallucine

Daniel Riolo fut le premier à passer à la barre et, fidèle à sa réputation de sniper, a lancé les hostilités en glissant un petit tacle au sélectionneur. « Je note que quand il s’agissait de critiquer Raymond Domenech, son prédécesseur, Didier Deschamps, avec qui nous avons pu travailler à l’After, aimait beaucoup notre émission », dégaine-t-il sans autre forme d’échauffement. Situé derrière lui pendant son audition, le double champion du monde ne peut contenir un éclat de rire. Ce qu’il fera du reste tout au long de l’audition de Daniel Riolo, agrémentant le tout de mimique qu’aurait adoré croquer un dessinateur, se prenant parfois la tête dans les mains pour marquer sa désapprobation.

Concernant ses propos sur le fait que Deschamps aurait trempé dans « toutes les affaires louches » qui touchent le football français de près ou de loin ces trente dernières années, Riolo tente de noyer le poisson. « Je n’ai pas accusé Deschamps de corruption ou de dopage, j’ai simplement dit qu’il était présent dans les clubs en questions, l’OM et la Juve, au moment des faits. Il y a des affaires qu’on connaît et je dis qu’il était là. » « Mais vous imaginez bien qu’en disant cela, vos auditeurs vont conclure qu’il était impliqué », lui rétorque le président de la Cour. « Il faudrait peut-être parfois qu’on précise plus les choses », convient le journaliste.

Quant à l’affaire qui nous concerne au premier plan – l’affaire Benzema, appelons-la ainsi – l’animateur de l’After assure s’être appuyé sur deux sources pour affirmer que la blessure de l’attaquant n’était pas aussi grave que déclarée par la FFF et qu’il pouvait donc parfaitement poursuivre l’aventure avec les Bleus. La première n’est autre que le truculent agent de Karim Benzema, Karim Djaziri, dont l’objectivité est remise en doute pour les avocats du plaignant. La deuxième est le docteur Hakim Chalabi, directeur de la clinique Aspetar au Qatar où Benzema est allé passer une IRM. Selon ce médecin, Karim Benzema souffrait d’une lésion de grade 1 qui l’aurait éloigné des terrains pendant une dizaine de jours au maximum. Pis, Riolo avait déclaré que le docteur Le Gall, le médecin du staff des Bleus, n’avait même pas pris la peine de se déplacer à la clinique Aspetar pour échanger avec les médecins sur place, ce qui est faux et ce que finira par admettre le prévenu.

Daniel Riolo, le journaliste de RMC, lors de son procès en diffamation, jeudi, au tribunal de Paris. Daniel Riolo, le journaliste de RMC, lors de son procès en diffamation, jeudi, au tribunal de Paris.  - Anne-Christine POUJOULAT

Invité à la barre quelques instants plus tard, le docteur Le Gall balaie ce diagnostic d’un revers de main et s’insurge, avec des mots pas toujours forcément bien choisis. « Je n’ai pas refusé de voir les médecins. Ça fait 29 ans que je suis dans le milieu, je peux vous assurer qu’au bout d’un moment, je ne suis pas le bon Dieu, mais j’ai un peu d’expérience. Chalabi n’est pas vraiment reconnu dans le milieu médical, il n’est pas médecin, il est directeur de clinique. Pour moi, ce n’est pas une référence. Quant à Aspetar, on a l’impression qu’ils ont inventé la médecine. Il y a cinquante ans, c’était un caillou, le Qatar. » Mouais, pas dingue comme argument, docteur… Ce qui est sûr, c’est que Frank Le Gall affirme que Benzema souffrait bien d’une lésion de grade 2 qui l’aurait empêché de rejouer avant les quarts de finale du Mondial et que le diagnostic de M. Chalabi était erroné.

« Il a attaqué mon honneur »

La cour demande alors à Daniel Riolo s’il avait pris le temps de poser la question à Didier Deschamps, comme cela est de rigueur puisque le journaliste de RMC a dit avoir « enquêté » sur le sujet, avant de le traiter de menteur à l’antenne à neuf reprises début 2023. Réponse : « Non. Mais de toute façon il ne m’aurait pas répondu. Déjà que nos confrères de RMC ont du mal à avoir le micro en conférence de presse ». Rires de Deschamps, rires de la salle (et rires votre serviteur qui, pour assister régulièrement aux conf des Bleus pendant les compétitions, peut assurer que c’est parfaitement faux).

Après plus de quatre heures d’audience, vient enfin l’heure de voir le sélectionneur à la barre. Petit papier en main, celui-ci s’avance et déclare : « Cela fait quarante ans que je suis dans le milieu du football et c’est la première fois que je mène une action en justice contre un journaliste. Mais c’était impossible de laisser passer ça, il a attaqué mon honneur et ma probité. Je suis scandalisé par ses déclarations », lance DD, avant de revenir en détail sur nuit du 19 au 20 novembre 2022, après la blessure de KBNueve.

« Ils (Karim Benzema et Franck Le Gall) sont revenus de la clinique, j’ai discuté quelques minutes avec le docteur avant de rejoindre Karim dans sa chambre. Je lui ai demandé comment il voyait la suite et il m’a répondu « c’est mort ». Je lui ai dit de prendre son temps et de s’organiser avec le staff pour préparer son départ le lendemain matin, après avoir fait ses au revoir au groupe. A mon réveil, il était déjà parti ». A ce stade, on doit bien avouer que la scène avait quelque chose d’absolument lunaire. Voir un sélectionneur au tribunal pour se justifier d’un choix managérial pris lors d’une Coupe du monde vieille de trois ans, on était à deux doigts de se pincer pour y croire.

Décision attendue le 30 janvier prochain

S’il s’est déclaré ensuite « respectueux de la liberté de parole, pilier de notre démocratie », le sélectionneur a tenu à rappeler aussi que « journalistes ont des devoirs et une responsabilité, celle de mener des enquêtes sérieuses et fouillées ». Ce que fera également l’avocate de l’ancien coach de l’OM, allant jusqu’à déclarer que Daniel Riolo « ne fait pas honneur à la profession de journaliste ». Du côté de l’avocat de la défense, on se débrouille tant bien que mal pour rappeler que Karim Benzema lui-même avait réagi à une interview de Deschamps dans le Figaro en février 2023, laissant entendre que DD avait menti.

Du côté du clan Deschamps, on sous-entend que le Madrilène aurait peut-être été convaincu – pour ne pas dire gentiment poussé – par son entourage à réagir à chaud sur les réseaux sociaux, sans que cela traduise un quelconque mensonge de la part de Deschamps. Ce qui est certain, c’est que Benzema n’a jamais pris la parole publiquement pour désavouer le sélectionneur et le médecin des Bleus, ce qui aurait évité tout ce cirque judiciaire un peu pathétique. Il était finalement 18h30 quand le juge annonçait la fin de l’audience. La décision sera rendue le 30 janvier 2026 à 13h30.