SÉRIE : TRANS-EUROPE-EXTRÊMES #3

La popularité des nationalistes allemands interroge les conservateurs de la CDU. Le chancelier Merz veut maintenir un cordon sanitaire de plus en plus fragile : une partie de son électorat ainsi que la direction de la CDU pourraient lui échapper.

Alice Weidel (au centre), coprésidente fédérale de l’AfD, aux côtés de Tino Chrupalla (à gauche), coprésident fédéral de l’AfD, Kristin Brinker (AfD) (deuxième à droite) et Björn Höcke (AfD) (à droite), réagissent aux résultats lors d’une soirée électorale au siège de l’AfD, le 23 février 2025 à Berlin. (Photo : POOL / Getty Images via AFP)

À l’instar de leurs voisins européens, les partis dits de gouvernement traversent une période de turbulence durable outre-Rhin. Le tunnel électoral dans les Länder de l’Est en dira davantage sur la possibilité de normalisation de l’extrême-droite allemande dans le jeu institutionnel. Dans l’ex-RDA, à l’Est, son parti est régulièrement crédité par les sondages de près de 40% des intentions de vote et de 20% à l’Ouest, ce qui le place devant les conservateurs de la CDU et les sociaux-démocrates du SPD. Farouchement anti-immigration et anti-islam, accusant volontiers l’Europe de tous les maux, les plus radicaux de la formation d’extrême-droite engrangent les succès électoraux. Comme en France, la droite traditionnelle et conservatrice est travaillée par cette formation née en 2013, dont le tournant identitaire est acté dès 2015. Pour faire sauter les digues et opérer les rapprochements idéologiques, trois cadres de la CDU émergent et ont récemment lancé pavé dans la marre dans l’hebdomadaire Stern : Peter Tauber, ancien Secrétaire général du parti sous Angela Merkel, Karl-Theodor zu Guttenberg, ex-ministre de la Défense, issu de la CSU bavaroise et Andreas Rödder, président de la Commission des valeurs fondamentales du parti interrogent la stratégie du pare-feu à l’encontre de l’AfD.

L’actuel chancelier, longtemps adversaire d’Angela Merkel et soupçonné avant son arrivée au pouvoir d’accointances avec les nationalistes, est aujourd’hui le plus ferme. À l’issue d’une réunion de la direction à huis clos de la CDU fin octobre, il a rappelé l’incompatibilité des valeurs avec ceux qui empruntent le slogan des SA en forme de clin d’œil « Alles für Deutschland » y substituant « Alice für Deutschland », allusion au prénom de la dirigeante nationaliste Alice Weidel, coprésidente de l’AfD. Les plus optimistes dresseront un portrait d’elle paradoxal, pas franchement orthodoxe dans la galerie des nostalgiques de l’ordre ancien. Lesbienne vivant en Suisse avec sa compagne d’origine sri-lankaise, elle incarne une nouvelle figure de l’extrême-droite, contribuant à sa banalisation sur fond de libéralisme sociétal. Dans la foulée du mouvement xénophobe Pegida, plus informel et particulièrement présent à l’Est, elle incarne la réaction d’une partie du corps social contre l’Islam et ses branches radicales, à qui elle reproche d’alimenter le terrorisme et de menacer les libertés publiques. Membre de l’AfD dès sa fondation dès 2013, Alice Weidel épouse la radicalisation du parti en 2015, qui se traduit par un discours anti-immigré de plus en plus violent et décomplexé. En janvier dernier, la présidente de l’AfD, a repris à son compte le terme de « remigration », ciblant plusieurs millions d’immigrés résidant en Allemagne.

Xénophobe, passant de l’euroscepticisme à l’europhobie, elle s’est plus récemment rapprochée de la figure sulfureuse de Bjorn Hocke, autre personnalité montante de l’AfD, ce dernier qualifiant le mémorial de la Shoah à Berlin de « monument de la honte ». Boostée par un Elon Musk encore au sommet de sa gloire dans la foulée de la victoire trumpiste, n’hésitant pas à qualifier le führer de « communiste », Alice Weidel est devenue la principale source d’inquiétude des européens avec le RN en France.

La droite allemande est confrontée à un choix dont elle ne peut plus être certaine de sortir gagnante. Privilégiera-t-elle les valeurs démocratiques, celles de la loi fondamentale de 1949 et des conquêtes européennes successives, ou choisira-t-elle le déshonneur avec les nostalgiques de l’indicible ? La question se pose désormais à toutes les droites du continent.

Mais en Allemagne, la résonnance est forcément plus tragique.