En 1973, à l’heure du film Orange mécanique et des musiques d’Ennio Morricone, alors que la musique de film est en pleine mutation, les animateurs Jacques Floran et Jacques Pradel consacrent une émission à la place de la musique dans le cinéma.
Le critique et réalisateur Michel Polac, ainsi que les compositeurs Francis Lai et Antoine Duhamel sont interrogés en introduction d’un débat en studio. Celui-ci confronte le critique Gérard Langlois à deux autres compositeurs, Jean-Pierre Stora et François de Roubaix.
Quelle place pour la musique au cinéma ?
« Pourquoi parler de musique de film ? Peut-être parce qu’il n’y a plus de musique dans les films ? » s’interrogent Jacques Floran et Jacques Pradel. Le ton est donné. Michel Polac, fidèle à sa réputation de polémiste, estime qu’il est souvent plus simple et plus économique de piocher dans les disques existants. Selon lui, les réalisateurs manquent de moyens et parfois de culture musicale pour travailler en amont avec des compositeurs. « On finit par faire de la musique à la manière d’Hollywood », regrette-t-il, fustigeant les orchestrations pompeuses « à la Richard Strauss ». À propos des musiques de Francis Lai, qui accompagnent les films de Claude Lelouch, il parle de « musiques guimauve » qui font partie de « l’endormissement d’un pays qui se berce de chansonnettes ».
Face à lui, Francis Lai, auteur de la musique du film Un Homme et une femme (1966), défend une musique plus « accessible ». Si on voit un film, et six mois après, on se rappelle les images en entendant la musique, alors la partition a rempli son rôle.
Antoine Duhamel, quant à lui, confie s’être éloigné du cinéma français les dernières années, lassé des compromis imposés par les producteurs. Ce qui lui importe, dit-il, c’est que la musique de film s’émancipe d’un son conventionnel qui l’ennuie et « l’écœure ».
François de Roubaix, défenseur d’un art à part entière
La musique de film sert-elle de simple remplissage ? Est-elle avant tout commerciale ? Dans la suite de l’émission, les compositeurs François de Roubaix et Jean-Pierre Stora débattent avec le critique Gérard Langlois.
François de Roubaix et son collègue expliquent intervenir très tôt dans la conception des films, parfois dès l’écriture du scénario. Le compositeur raconte qu’il rencontre parfois un réalisateur avant même que celui-ci ait trouvé un producteur ou élaboré sa distribution.
François de Roubaix défend une approche intuitive : la musique doit « faire décoller le film », ouvrir un espace émotionnel au-delà de l’image. Il cite Les Aventuriers, dont le thème de Lætitia « faisait revivre le personnage après sa mort ». Pour lui, la musique n’est pas un simple fond sonore. Il rappelle qu’il a commencé comme cinéaste avant de devenir compositeur, ce qui lui permet de mieux choisir les projets sur lesquels il s’engage : « C’est un art, mais aussi un métier ».
Un échange éclairant, à l’époque où la musique de film cherche encore à affirmer son identité.
- Production : Jacques Pradel et Jacques Floran
- Avec Michel Polac (journaliste, producteur, écrivain, critique, réalisateur), Gérard Langlois (journaliste, critique de cinéma), et les compositeurs Francis Lai, Antoine Duhamel, François de Roubaix et Jean-Pierre Stora
- Les Après-midi de France Culture – La musique de film (1ère diffusion : 27/09/1973)
- Edition web : Caroline Chaussé-Domergue
- Archive INA-Radio France