Depuis les doubles effondrements d’immeubles survenus en 2021, les arrêtés de péril se multiplient dans le centre-ville, caractérisé par un bâti ancien particulièrement exposé aux risques.

Dans la nuit du 20 au 21 juin 2021, deux immeubles de la rue de la Rousselle, dans le centre-ville de Bordeaux, s’étaient effondrés en l’espace de quelques minutes. Trois personnes avaient été blessées, dont une femme retrouvée sous les décombres. Près de 130 personnes avaient été évacuées, dont des familles avec enfants mais aussi plusieurs personnes âgées. Bien plus qu’un simple accident de bâti ancien, l’événement avait été le révélateur d’un problème structurel sur les risques nombreux d’effondrements dans le centre-ville. Cinq jours plus tôt, deux immeubles s’étaient déjà effondrés rue Planterose, dans le quartier Saint-Michel.

Quatre ans plus tard, la fragilité du patrimoine bordelais s’est rappelée à ses habitants. Le 12 juin dernier, trois immeubles du centre-ville ont été évacués à cause d’une cheminée qui menaçait de s’effondrer. Le 29 août, une corniche en pierre s’est détachée du haut d’un immeuble près de la place Pey Berland. Selon Denis Boullanger, architecte en patrimoine, «les menaces d’effondrement des bâtiments fragiles sont surtout dues à un manque d’entretien. Les infiltrations se produisent à cause des gouttières mal entretenues, et créent le lessivage de l’intérieur des murs, qui finit par s’affaiblir».


Passer la publicité

Bordeaux paie aussi le prix de sa célèbre pierre blonde-beige, extraite des anciennes carrières girondines de Frontenac, Brétignac ou Sireuil. Ce matériau, qui donne son harmonie architecturale au centre historique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco, constitue aujourd’hui l’un des éléments de fragilité du bâti ancien. Les bâtiments construits avant le XVIIIe siècle sont particulièrement vulnérables : les murs épais en pierre peuvent se fissurer, et la pierre de Bordeaux, moins dense, s’affaiblit avec le temps. Pour ceux construits après le XVIIIe siècle, les murs sont plus fins, ce qui accroît le risque d’effondrement des structures supérieures. «Les problèmes des bâtiments fragiles se concentrent essentiellement sur le centre-ville de Bordeaux. Les immeubles sont anciens et difficiles d’accès pour l’entretien. Les toitures moins visibles. Bordeaux n’est pas une ville qui a vu la construction d’immeubles modernes dans son centre-ville, et sa pierre se dégrade de façon insidieuse», résume Denis Boullanger.

700 procédures en cours, 46 évacuations en 2025

Pour la mairie, les événements de 2021 ont été un véritable signal d’alerte. «Ça a mis en lumière une réalité : Bordeaux a un grand nombre d’immeubles avec des risques d’effondrement. Nous nous sommes rendu compte que notre capacité d’action était sous-dimensionnée», souligne Stéphane Pfeiffer, adjoint au maire chargé de l’urbanisme résilient et de l’habitat.

Depuis, les équipes municipales ont été renforcées pour suivre les propriétaires et veiller à la réalisation des travaux, mais aussi pour répondre aux inquiétudes des Bordelais. Avant 2021, la mairie enregistrait environ une centaine de signalements par an. Depuis, ce chiffre a explosé : il dépasse les 500 chaque année. On compte aujourd’hui environ «150 arrêtés de péril et environ 700 procédures en cours», selon Stéphane Pfeiffer. Cette année, la mairie a pris 46 arrêtés sur des critères d’extrême urgence, qui ont tous nécessité des évacuations.

Dans ce contexte, l’État et Bordeaux-Métropole ont confié au Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB), en 2022, via une subvention de 134.000 euros, une mission d’accompagnement technique à la gestion de crise. Cette mission vise à apporter des éléments factuels de compréhension du niveau de risques dans le périmètre des immeubles effondrés de la rue de la Rousselle, mais aussi dans d’autres secteurs du centre ancien. «Cet audit nous a permis d’écarter l’hypothèse de mouvements de sol et de confirmer que le problème principal était le manque d’entretien», explique Stéphane Pfeiffer. Un guide sur les bonnes pratiques de réhabilitation sera prochainement présenté aux professionnels de l’immobilier afin de prévenir les erreurs dans l’entretien des bâtiments en pierre.

«Les accidents ne se produisent pas subitement. Il y a des signes avant-coureurs : ce sont les fissures et la rapidité de leur évolution. Ce qui est grave, c’est l’accélération de la dégradation», insiste Denis Boullanger. La signature architecturale de Bordeaux est aussi devenue l’un de ses grands défis de sécurité.