Longtemps considéré comme un simple espace de divertissement, Youtube s’affirme désormais comme un pilier du paysage audiovisuel français. Entre contenus premium, décryptage de l’actualité et formats hybrides, la frontière entre créateurs et télévision n’a jamais été aussi fine.
« 43 millions de Français viennent chaque mois sur la plateforme », lance Justine Ryst, directrice générale de Youtube France sur le plateau de Tech&Co la quotidienne, mercredi 19 novembre. Ils regardent ses contenus en moyenne 52 minutes par jour, selon une étude ComScore.
« On est devenu. un incontournable dans tous les foyers et les poches des Français », complète-t-elle.
Une évolution des pratiques
Effectivement, en vingt ans, la plateforme de vidéos de Google a bien évolué. D’une plateforme principalement utilisée sur smartphone, Youtube s’est peu à peu exporté sur le téléviseur. « Il s’agit du deuxième écran de visionnage en France. C’est un usage qui a augmenté de 31% en deux ans. » Aux Etats-Unis, la télévision est déjà son premier support de visionnage, devant le mobile. Youtube est aussi le programme le plus regardé sur les téléviseurs connectés devant toutes les autres chaînes.
Justine Ryst, Directrice générale de YouTube France, et Alexia Laroche-Joubert, PDG de Banijay France – 19/11
Une évolution des pratiques notamment permise par l’essor des formats longs sur Youtube, et la qualité des productions, qui n’ont rien à envier à leurs homologues du petit ou grand écran.
C’est par exemple le cas de Squeezie. Si le deuxième vidéaste de France a bâti sa popularité avec des vidéos d’une durée oscillant entre 10 et 20 minutes, le vidéaste multiplie les productions à gros budget, frôlant parfois les deux heures de contenu. Ainsi, la vidéo « Qui réussira à stopper le train », un jeu qui réunit dix têtes d’affiche de Youtube cumule plus de 13 millions de vues sur sa chaîne. Même constat pour HugoDécrypte, spécialisé dans les courts décryptages d’actualité. Il n’hésite plus à partager des interviews de plus d’une heure.
Au-delà du divertissement, Youtube s’affirme aussi comme une source d’information et d’apprentissage. Si certains internautes s’amusent à regarder la dernière superproduction de Michou, d’autres suivent l’actualité sur la chaîne d’HugoDécrypte ou de TF1, approfondissent des sujets historiques avec NotaBene, ou se forment grâce à des centaines de chaînes pédagogiques. Aujourd’hui, plus d’un Français sur deux utilise Youtube pour s’informer sur l’actualité, et près de neuf Français sur dix s’appuient sur la plateforme pour apprendre.
Concurrence ou complémentarité?
Certains youtubeurs, spécialisés dans l’actualité sont devenus des sources d’information à part entière. C’est le cas d’HugoDécrypte. Selon un sondage Ipsos, le vidéaste est à égalité avec TF1 chez les moins de 35 ans comme leur première source d’information. De son côté, Gaspard G compte plus d’un million et demi d’abonnés sur sa chaîne qui décrypte l’actualité. Son public est composé à 85% de 18-25 ans.
Gaspar G, YouTuber – 19/11
Les chaînes traditionnelles sont également plébiscitées par les jeunes. Ainsi, l’année dernière, les 50 chaînes Youtube de l’INA ont enregistré plus de 530 millions de vues. Plusieurs journalistes, comme Elise Lucet, ont également tenté l’aventure.
Cette montée en puissance de Youtube dans l’information rebat forcément les cartes du paysage audiovisuel. En captant une part croissante de l’attention des jeunes, la plateforme apparaît de plus en plus comme un rival potentiel pour les chaînes TV. De son côté, Justine Ryst insiste davantage sur les liens que sur la concurrence.
« Le succès du format long, c’est une opportunité pour les chaînes de télévision plus classiques d’aller chercher des audiences complémentaires à celles qu’elles ont en linéaire, un public qui n’irait pas sur les antennes classiques », insiste-t-elle. « Le mot d’ordre, c’est la complémentarité. Youtube est un partenaire média pour toutes les chaînes et le monde de l’audiovisuel. »
Le succès colossal du film « Kaizen » du youtubeur Inoxtag sur son ascension de l’Everest illustre bien cette convergence. Le documentaire de 2 heures et 26 minutes, qui a réuni 340.000 spectateurs en salles et généré 37 millions de vues, a également été diffusé sur TF1: le triomphe multimédia né sur Youtube résume à lui seul les ambitions de la plateforme.
Les freins du modèle
Un phénomène qui n’échappe pas aux acteurs traditionnels. Ainsi, plus d’une entreprise média sur 8 considère Youtube comme une source de revenus importante. Par exemple, Arte a démultiplié les chaînes sur la plateforme et lancé des formats exclusivement diffusés sur le web, comme son émission de vulgarisation scientifique « Le Vortex ».
Malgré le succès de cette diffusion numérique, pas question de passer en première diffusion sur Youtube. En effet, la plateforme de Google n’a pas un modèle économique basé sur l’investissement.
« Sur Youtube, on ne nous achète pas un programme », rappelle Alexia Laroche-Joubert, patronne de Banijay France. « Je ne sais pas si une marque sera susceptible de s’engager sur un Koh Lanta de 16 épisodes sur Youtube. »
Si les marques peuvent débourser 200.000 euros pour un partenariat avec un youtubeur, une seule saison de Koh-Lanta frôle parfois le million d’euros. L’heure est donc plutôt aux projets hybrides, souvent bénéfiques pour les acteurs traditionnels, mais aussi les youtubeurs.
Des projets hybrides
TF1 a été l’une des premières à miser sur cette stratégie. En mars 2024, la finale de Danse avec les stars d’internet (DALSI), une variante du célèbre concours de danse avec des influenceurs coproduite par les équipes de Michou et de TF1/BBC, a été diffusée en direct sur TF1. Une première dans l’écosystème. La finale de la compétition de danse a attiré 800.000 téléspectateurs sur la tranche minuit/1h30, soit 20% de part de marché. Un pari gagnant-gagnant puisque l’émission a séduit en moyenne 300.000 viewers sur la chaîne de Michou.
Depuis, les exemples se multiplient. Pour la 13e saison de Star Academy, programme phare de TF1, sept influenceurs se sont rendus au château pour une mini édition du programme. « Ca permet de renforcer le rendez-vous antenne », complète Justine Ryst. En parallèle, le studio de production et Youtube se sont associés pour lancer le Creators Lab. L’objectif du programme? Aider les youtubeurs à adapter des émissions cultes du petit écran, comme la Première compagnie ou La tête et les jambes, sur la plateforme de Google. Le modèle devrait être dupliqué à l’international.