Au-delà de cette limite, notre libéralisme n’est plus valable. Pour les vrais libéraux que nous sommes, il est clair que les conditions géopolitiques et économiques ont tant changé depuis ces dix dernières années qu’il faut repenser quelques règles et protections nécessaires ainsi que la vision commerciale que nous avions du monde. La liberté est le principe fondateur du libéralisme et le moteur le plus puissant du progrès humain. Rappelons que le libéralisme n’est pas l’absence de règles, mais suppose au contraire l’existence et le respect partagé de règles simples, précises, concrètes et réciproques sur de grands principes économiques partagés et non pas de normes empilées au point de devenir incompréhensibles et inapplicables.
Entre l’errance autour du Mercosur, un jour indispensable, un jour inadmissible, et la crise de nerfs autour de Shein qui, à la grande joie des consommateurs, a été hébergé par l‘un de nos plus grands magasins parisiens avec succès, quoique quitté immédiatement par certains de nos fleurons français du luxe ; entre les haricots verts du Kenya, les textiles indiens, les produits électroniques et les voitures électriques chinoises… les citoyens consommateurs que nous sommes ne sont jamais politiquement corrects. Le vertueux citoyen, militant passionné de la RSE se double d’un consommateur schizophrène frénétique de produits importés, fabriqués dans des conditions dont il n’a cure. Finalement l’Homo Economicus est sous l’influence dominante de son porte-monnaie, autrement dit de son pouvoir d’achat.
L’Europe doit donc, pour exister efficacement, développer à l’échelle du continent une stratégie et un agenda de puissance technologique et économique fondés sur les principes du libéralisme, et non pas se perdre dans la production zélée de normes qui ne traitent pas des vrais sujets ni au bon niveau. À cet égard, est-il pertinent de voir l’Europe imposer de récupérer la grippe d’été sur le temps de travail en hiver ? Ou imposer un jour de congé pour les règles douloureuses (en principe c’est encore réservé aux femmes) ? Quant à l’écologie et l’impérieuse nécessité d’accélérer la transition environnementale, là encore il faut mesurer effets et conséquences.
L’Europe a raison de porter de grandes ambitions et de viser au leadership en la matière, mais les modalités de mise en œuvre risquent fort de continuer à détruire ce qui reste de notre tissu industriel exposé dans ce monde ouvert à une concurrence aussi disproportionnée que débridée.
L’exemple chinois est éloquent : la Chine a réussi l’exploit de devenir leader dans la green-tech et la transition écologique en même temps qu’elle assure sa victoire totale et sans appel en matière de leadership industriel : de la R&D à la fabrication de produits complexes dans des usines 4.0 en jouissant de la maîtrise des matières premières. C’est ce « en même temps » qui doit conduire l’Europe à s’interroger sur sa stratégie et inventer un libéralisme européen, total à l’intérieur et conditionnel pour l’extérieur, c’est-à-dire respectant la même règle du jeu pour tous.
Le libéralisme n’est pas l’absence de règles, mais suppose au contraire l’existence et le respect partagé de règles simples, précises, concrètes et réciproques
Ainsi, tant pour la nécessaire protection et la légitime extension des droits humains que pour la protection de la planète, l’Europe serait plus utile à concentrer ses efforts sur les conditions de production des pays exportateurs dans l’Union plutôt que d’accroître sans cesse l’étendue de ses contrôles et de ses règles souvent absconses érigées envers ses États Membres. Les autorités européennes doivent se concentrer sur la mise en place d’outils et de dispositifs permettant d’assurer que les pays tiers souhaitant accéder au marché unique respectent effectivement nos principes.
Or, nous n’y sommes pas. Il est cruel mais nécessaire de souligner que la réalité des entreprises industrielles françaises est de participer à une compétition presque toujours perdue d’avance. Elles sont soumises à une masse écrasante de lois, règlements, certifications, labels RSE (sociaux et environnementaux) pour le respect ou l’obtention desquels elles doivent consacrer sans arrêt plus de ressources humaines et financières) sans que cela n’améliore en quoi que ce soit leur compétitivité, bien au contraire. Simultanément, les donneurs d’ordre de toutes contrées, de tous secteurs n’ont qu’un seul objectif : mettre la pression pour obtenir les prix les plus bas. Rien n’y fait, c’est la loi du marché.
Les menaces qui pèsent sur l’industrie automobile européenne semblent à peine réveiller les consciences. Cet exemple est pourtant l’illustration chimiquement pure des dégâts causés par l’incohérence et l’inconséquence des politiques publiques. L’imposition de toujours plus de règles strictes et contraignantes au moment où la compétitivité de ses propres acteurs est entamée et alors même que les frontières sont laissées grandes ouvertes aux fabricants chinois ne peut mener qu’au désastre.
On se demande à quoi ont bien pu servir tant de précédents, à savoir la destruction en règle des industriels de la métallurgie, des équipements électriques, de l’électro-ménager, de l’éclairage et de tant d’autres pans de l’industrie. Ce qui a été vrai depuis 30 ans est encore plus vrai maintenant et à l’avenir, car les causes d’hier sont exponentiellement amplifiées par les révolutions technologiques des dix dernières années et des vingt prochaines.
Plus une minute à perdre. Que l’Europe réoriente son énergie normative et de contrôle moins sur nos entreprises et beaucoup plus vers les entreprises extra-européennes qui aspirent à commercer avec nous. Compte tenu de l’énorme écart de compétitivité, on voit mal comment on pourrait échapper à des mécanismes temporaires de protection aux frontières de l’Union européenne ? Le simple bon sens et l’ambition pour la survie de l’Europe et de nos entreprises sont à ce prix.