Depuis la mi-novembre, la France grelotte sous une vague de froid qui a fait plonger le thermomètre de plus de 10°C en quelques jours. À Mourmelon-le-Grand, on a enregistré -7°C le 19 novembre, un record récent qui a glacé les Français peu habitués à ce contraste brutal après la douceur exceptionnelle de début novembre. Mais ce froid, aussi mordant soit-il, reste de la rigolade pour les habitants de Mouthe. Dans ce village du Doubs, -7°C, c’est un matin d’automne comme les autres.
Un record qui donne le vertige
Mouthe détient le record officiel de température la plus basse jamais mesurée en France métropolitaine. Le 13 janvier 1968, Météo France y a relevé -36,7°C. Dans l’après-midi du même jour, le thermomètre remontait à +1,1°C, soit presque 38 degrés d’écart sur une seule journée. Un phénomène qui laisse perplexe : comment peut-on passer d’un tel froid sibérien à des températures positives en quelques heures ?
Il existe un autre record, non-officiel celui-là : -41°C enregistré le 17 janvier 1985. Météo France ne le reconnaît pas, mais le village l’affiche fièrement : des chiffres que les relevés n’ont pas pu confirmer mais qui font partie de la mémoire collective des Mouthiers.
Il gèle à Mouthe 176 jours par an en moyenne, soit un jour sur deux. Le village connaît 80 jours de fortes gelées (en dessous de -5°C) chaque hiver et 24 jours sans dégel. Six années sur sept, le thermomètre descend sous les -20°C. Une année sur deux, on franchit la barre des -25°C. Et tous les huit ans environ, on flirte avec les -30°C.
Pourquoi il fait si froid à Mouthe
La géographie du lieu explique tout. Mouthe se trouve à 930 mètres d’altitude dans une cuvette du massif du Jura, à 25 kilomètres au sud-ouest de Pontarlier. Cette configuration en forme de bol crée un phénomène d’inversion thermique redoutable. L’air froid, plus dense et plus lourd que l’air chaud, descend dans la vallée et y reste piégé comme de l’eau au fond d’un lavabo. Sans vent pour le brasser, cet air se refroidit toute la nuit par rayonnement.
Les nuits les plus glaciales se produisent par ciel dégagé. Les nuages agissent normalement comme une couverture thermique en piégeant la chaleur émise par le sol, mais quand le ciel est clair, cette chaleur s’échappe directement dans l’espace. La neige au sol amplifie encore le phénomène en réfléchissant le peu de chaleur disponible. L’absence de forêt dense au fond de la vallée ne fait qu’aggraver les choses.
Résultat : il fait souvent plus froid en bas à Mouthe qu’en haut sur les crêtes environnantes. D’autres combes jurassiennes connaissent des températures similaires – La Brévine en Suisse, le plateau du Grandvaux, Chapelle-des-Bois – mais la plupart n’ont pas de station météo officielle. Mouthe a hérité du titre par défaut, ou presque.
La Franche-Comté bénéficie aussi d’un climat semi-continental, étant la région française la plus éloignée de toute mer ou océan. L’influence maritime tempérée qui adoucit le reste du pays ne parvient pas jusqu’ici.
Mouthe sans la neige !
Entre ski de fond et changement climatique
Le village constitue l’arrivée mythique de la Transjurassienne, la plus grande course de ski de fond en France. Créée en 1979, cette épreuve relie Lamoura dans le Jura à Mouthe (ou Les Rousses) sur 70 kilomètres (68 depuis 2015). Près de 4 500 participants venus d’une trentaine de pays y participent chaque année en février, quand les conditions le permettent. C’est la seule course française inscrite au calendrier de la Worldloppet, le circuit mondial des marathons de ski de fond.
Le parcours traverse des paysages de carte postale : plateaux ouverts, forêts d’altitude, combes enneigées. Mouthe fait partie de l’Espace Nordique Jurassien qui propose des centaines de kilomètres de pistes damées. La station compte quelques pistes de ski alpin mais brille surtout dans le nordique. Des champions comme Fabrice Guy (médaillé olympique en combiné nordique) ont grandi ici.
Mais le changement climatique menace cette identité nordique. Les habitants le constatent : les hivers sont moins rigoureux qu’avant, la neige tombe moins souvent, la pluie remplace parfois les flocons. Depuis sa création, la Transjurassienne a été annulée huit fois faute d’enneigement suffisant, dont en 2024. Les organisateurs ont dû prévoir un parcours de secours plus court pour sécuriser l’événement face à l’aléa climatique.