La vente de fac-similés d’anciens livres, présentés comme « rares » ou « valeurs sûres », alors qu’il n’en est rien. Le procès qui s’ouvre devant le Landgericht Berlin implique cinq hommes, âgés entre 27 et 51 ans, qui sont accusés d’avoir, entre octobre 2022 et mai 2025, escroqué plusieurs dizaines de victimes — majoritairement des seniors — à hauteur de sommes pouvant atteindre 99 000 euros.

Les prévenus sont poursuivis pour 41 faits de fraude en bande organisée, faux en écriture, escroquerie informatique et complicité, indique un communiqué du Parquet de Berlin.

Une mécanique bien huilée

Le mode opératoire était rodé : d’abord, la bande ciblait des amateurs de livres qui avaient déjà acheté des fac-similés — ces rééditions d’ouvrages anciens — en leur promettant un rachat lucratif. Ensuite, elle exigeait une somme en avance, appelée « caution » ou « provision », avant toute transaction. Dans certains cas, les montants atteignaient 10.000 €, 20.000 €, voire jusqu’à 99.000 €, rapporte le Tagesspiegel.

Les victimes recevaient des rendez-vous à domicile, des représentants affables, une apparence de sérieux (bureaux loués à Schönefeld, « call-center » pour démarchage) — bref, un décor crédible.

Victimes sous pression

Le profil des victimes n’est pas anodin : essentiellement des personnes âgées préalablement ciblées pour avoir en leur possession des fac-similés, typiquement de grandes collections éditoriales en séries limitées — à tort. « Les victimes ont souvent contracté un crédit pour verser la somme exigée », indique l’accusation.

Dans l’un des dossiers, un fac-similé était présenté comme « une œuvre recherchée, capable de rapporter jusqu’à 450.000 euros », selon le parquet.

Le côté psychologique est cruel : sensibles aux notions d’héritage, de patrimoine littéraire, les victimes étaient amenées à croire qu’elles allaient faciliter leur succession ou valoriser leur passion pour les livres.

De l’édition à l’escroquerie

Pour qui connaît l’univers de l’édition, la nuance est importante : « Faksimile » est un terme légitime, désignant la reproduction fidèle d’un ouvrage ancien. Sauf qu’ici, il est instrumentalisé. Selon la Verbraucherzentrale Sachsen : « Les services d’édition sérieux ne vous feraient jamais croire qu’un tirage de masse peut devenir une rareté en quelques mois », poursuit le Parquet.

La vérité est simple : les fac-similés proposés n’avaient ni tirage limité ni marché de revente. Le piège ? « Le vendeur présente l’ouvrage comme introuvable, alors qu’il s’agit d’un produit standard », rappelle-t-on.

Le procès et ses enjeux

Le procès, devant la 33ᵉ chambre du Landgericht Berlin, a débuté fin octobre 2025. Il devrait s’étaler sur environ 22 jours jusqu’à février 2026. Selon la presse, deux des accusés auraient chacun engrangé près de 450.000 euros. Le préjudice total visé par la justice s’élève à 738.000 euros.

Ce dossier soulève plusieurs questions pour le monde de l’édition et de la collection : comment distinguer une offre légitime d’un mirage spéculatif ? À quel point la valorisation d’un livre-objet devient-elle un pari risqué ? Et surtout : comment éviter que des amateurs passionnés ne deviennent les proies d’une machinerie frauduleuse ?

Outre-Rhin, un écho ancien

Dans une tout autre législation, mais traversant les mêmes eaux troubles de l’édition-valorisation, l’affaire Aristophil offre un miroir troublant à celle du procès berlinois. Créée en 1990 par Gérard Lhéritier, cette entreprise proposait aux particuliers d’acheter des parts de lettres manuscrites ou de documents historiques censés prendre de la valeur à très court terme.

Pris entre 2014 et 2015 pour « escroquerie en bande organisée » notamment, Aristophil a été placé en liquidation avec un passif estimé à plus d’un milliard d’euros, impliquant entre 18 000 et 35 000 épargnants. Comme dans le cas du « faksimile-betrug », l’art (ou l’édition) servait de prétexte à un montage financier spéculatif où la rareté promise s’est avérée largement fictive.

Les dernières audiences rendent la comparaison encore plus parlante. Lors du procès de septembre 2025 à Paris, six ans de prison ferme ont été requis contre Gérard Lhéritier pour son rôle dans l’affaire Aristophil. Un système pyramidal que les enquêteurs avaient déjà souligné, avec quelque 850 millions € à la clef, dont les victimes furent dépossédées. 

Autre époque, autres mœurs, mais deux dossiers, touchant aux livres-objets qui démontrent combien l’édition offre aussi un terrain propices aux opérations financières risquées voire frauduleuses.

Crédits photo : josh_ndc CC 0

 

 

Par Clément Solym
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