En France, les élus locaux attendent un « sursaut de lucidité » de la part d’Emmanuel Macron « Une forme d’indécence »

Derrière ces chiffres, une mécanique bien identifiée : la flambée des revenus de capitaux mobiliers, financiers et fonciers, dopés par l’envolée des prix de l’immobilier et des actions cotées en Bourse. Les salaires eux-mêmes ne sont pas en reste en haut de l’échelle : selon l’Insee, entre 2019 et 2023, les rémunérations du top 1 000 – des postes principalement occupés par des hommes de 50 ans ou plus, en Île‑de‑France et dans le secteur privé – ont progressé de plus de 20 %. Ils représentaient au moins 70 Smic en 2019, et au moins 83 Smic en 2023.

Pour Louis Maurin, directeur de l’Observatoire des inégalités, « il y a là une forme d’indécence, une véritable perte des valeurs républicaines françaises, à commencer par l’égalité. Fermer les yeux sur une telle réalité, c’est accepter les fractures et les tensions qui ne manqueront pas d’en découler et dont il ne faudra pas se plaindre lors du prochain scrutin. Comment les plus fortunés peuvent-ils justifier un tel enrichissement tout en refusant de contribuer davantage à la solidarité nationale » ?

En pleine austérité budgétaire, le train de vie des ex-Premiers ministres français est-il justifiable ? « Il est nécessaire de revoir ces dispositifs »L’effet Macron sur la fiscalité

L’autre volet de la note de l’Insee concerne la fiscalité. Certes, le montant total de l’impôt sur le revenu acquitté par ces foyers à très hauts revenus a augmenté en vingt ans, puisqu’ils gagnent beaucoup plus. Mais leur taux moyen d’imposition, lui, a diminué : il est passé de 29,2 % en 2003 à 25,7 % en 2022, soit – 3,5 points.

Pourquoi ? Cette baisse s’explique essentiellement par les réformes menées sous Emmanuel Macron. L’étude « La roue de la fortune », publiée par la Fondation Jean‑Jaurès en septembre, l’avait déjà mis en lumière : dès 2018, un an après son arrivée à l’Élysée, le chef de l’État a instauré la flat tax. Là où les plus-values boursières et les dividendes étaient auparavant soumis au barème progressif de l’impôt sur le revenu, et donc souvent taxés entre 40 % et 45 %, ils sont désormais frappés d’un prélèvement forfaitaire unique de 30 %. La même année, la majorité macroniste a transformé l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI). L’ISF portait sur l’immobilier et les valeurs mobilières (actions) ; l’IFI ne vise plus que l’immobilier. Résultat : en 2017, 360 000 foyers avaient payé l’ISF pour un total de 4,2 milliards d’euros ; en 2019, seuls 139 000 foyers ont acquitté l’IFI, pour un montant global deux fois moindre (2,1 milliards).

Coup pour coup, amendement pour amendement: l’Assemblée nationale rudoie le gouvernement LecornuDes députés sous pression

Cette étude tombe alors que les discussions budgétaires s’enlisent à l’Assemblée. La date limite pour doter la France d’un budget approche, et ce week-end s’annonce charnière : les députés doivent se prononcer, probablement ce 22 novembre, sur les recettes de l’État. Sauf surprise, ils devraient les rejeter en bloc : la gauche n’entend pas voter le texte, pas plus que le Rassemblement national. Quant aux groupes du « bloc central », ils ont décidé de ne pas l’approuver « en raison de l’insincérité de certaines mesures adoptées ». En cas de rejet, le texte ira au Sénat, avant de revenir à l’Assemblée. Si rien n’aboutit d’ici au 31 décembre, le gouvernement pourrait recourir à une loi spéciale, autorisant l’État à percevoir les impôts existants, assortie d’un décret gelant les dépenses – comme l’an dernier.

Fermer les yeux sur une telle réalité, c’est accepter les fractures et les tensions qui ne manqueront pas d’en découler et dont il ne faudra pas se plaindre lors du prochain scrutin.

Les députés vont-ils tenir compte de l’étude de l’Insee ? A priori non. « On observe une forme de crispation, parfois irrationnelle, au centre et à droite : une sorte de blocage psychologique nourri par un discours figé, celui qu’il ne faut surtout pas augmenter les impôts », analyse Louis Maurin. Un discours, rappelle-t‑il, « hérité de 1988 et de la lettre aux Français de François Mitterrand ». À ses yeux, la gauche aussi a sa part de responsabilité car, « par démagogie, elle se focalise sur la taxe Zucman, nécessaire mais loin d’être suffisante car elle n’impacterait que 2 000 foyers. La crise actuelle devrait pourtant pousser à faire évoluer les lignes », conclut-il.