Les clients de supermarchés sont désormais habitués à voir s’afficher sur les terminaux de paiements, lors du passage en caisse, un message les invitant à arrondir à l’euro supérieur le montant de leurs achats. Ce don est ensuite reversé à une association partenaire.

Un acte de plus en plus courant, aussi pratiqué par des enseignes du groupe Casino. Mais qui, en ligne, vaut depuis début novembre des critiques au groupe ; lequel est mis en cause pour avoir aidé à financer un réseau d’écoles privées, Espérance banlieues.

C’est le média en ligne Street Press qui a pointé ce partenariat entre Monoprix, Franprix, Naturalia et Espérances banlieues, dès le 4 novembre.

Quelques jours plus tard, c’est le député (LFI) de Seine-Saint-Denis, Thomas Portes, qui postait un message sur X (ex-Twitter) : « Un arrondi en caisse a été mis en place en août et septembre pour soutenir un réseau d’éducation proche des mouvances catholiques d’extrême droite. Financer les écoles “Espérances banlieues” n’est pas un acte de solidarité : les parents d’élèves y dénoncent violences et racisme, ainsi qu’une volonté de “franciser” les petits musulmans. Une opération menée sans en informer les clients, transformés sans le savoir en mécènes d’un projet identitaire. »

« Ce qui se passe nous sidère »

La Tribune-Le Progrès a pu joindre Patrick d’Hérouville, le directeur général d’Espérance banlieues. À la tête de ce réseau d’écoles privées hors contrat, il assume le port de l’uniforme et les cérémonies du lever de drapeau tricolore.

« Ce sont des symboles de la République. Mais ce n’est qu’une petite partie de notre modèle éducatif. Nous ne faisons pas de politique, contrairement à ce qui est dit. Nous ne sommes ni à droite, ni à gauche. Notre seul but est de faire progresser les enfants avec l’accord et la confiance des parents. Nous sommes inspectés, reconnus, invités au Sénat, travaillons avec la Fondation de France. Ce qu’il se passe nous sidère. »

« Ces plaintes sont infondées et il n’y a pas eu de suites »

En 2023, Mediapart avait révélé que deux familles de parents d’élèves avaient porté plainte contre la direction pour « violences volontaires sur mineurs », « harcèlement moral » et « dénonciation calomnieuse ».

Patrick d’Hérouville confirme que ces plaintes existent depuis fin 2022 : « Nous ne sommes pas très inquiets. Il n’y a pas eu de répercussions, ces plaintes sont infondées et, depuis bientôt trois ans, il n’y a pas eu de suites. L’une de ces familles a déposé plainte après que nous avons fait un signalement préoccupant concernant un enfant. » Et le directeur général rappelle « qu’il n’y a jamais eu de condamnation contre Espérance banlieues ».

« Nous remercions le groupe Casino »

À propos de la campagne de dons, il détaille : « Nous avons reçu 750 000 clics, c’est significatif pour nous. Nous remercions le groupe Casino. Cela nous permet de facturer au minimum les familles. C’est pour ça que nous avons des partenariats avec des entreprises privées. »

Il ouvre même les portes de ses « seize petites écoles », dont une à Saint-Étienne, à ceux qui voudraient voir ce qui s’y déroule : « Nous travaillons avec des enfants à la limite du décrochage, dans des territoires compliqués. Ces attaques, ce n’est malheureusement pas la première fois. Elles viennent de gens que nous avons invités et qui ne sont jamais venus. »

Le dispositif de don, L’Arrondi, est mis en place par microDON, une filiale de La Banque postale. Contacté, le service presse détaille la procédure qui permet à des associations d’intégrer le dispositif.

« Elles sont soumises chaque année à un audit strict des équipes de microDON selon des critères de conformité légale et de transparence, portant sur l’intégrité et la gouvernance de l’organisation, la traçabilité des fonds et la capacité à justifier l’usage des dons, l’utilité sociale avérée et le respect du cadre légal et réglementaire. MicroDON s’assure notamment de l’absence de condamnations à l’encontre des dirigeants des associations sélectionnées. »

« C’est la première année que microDON mène aux côtés des enseignes du groupe Casino une campagne d’arrondi en caisse en faveur de l’association Espérance banlieues. Cette dernière n’a pas dérogé aux règles de contrôle habituellement menées. »

Casino « refuse toute instrumentalisation »

De son côté, le groupe Casino confirme avoir conduit cette opération du 19 août au 28 septembre : « En 2025, nos magasins auront accompagné 22 associations via L’Arrondi solidaire, dans des domaines très variés : lutte contre le décrochage scolaire, précarité alimentaire, droit des femmes, lutte contre l’isolement. La sélection de nos partenaires associatifs repose sur une revue structurée et exigeante : intégrité, gouvernance, conformité, finalité d’intérêt général ; absence de condamnation judiciaire et de conflits d’intérêts ; traçabilité précise des fonds. »

Il tient aussi à rappeler sa neutralité : « Nous ne nous engageons jamais dans des polémiques politiques et refusons toute instrumentalisation. Notre ligne directrice demeure l’intérêt général et l’impact social concret : dans ce cas précis, des actions de lutte contre le décrochage scolaire, suivies et encadrées de manière transparente. Enfin, il s’agissait d’une opération ponctuelle, désormais close et qui ne sera pas renouvelée, afin de laisser place à d’autres associations partenaires dans les prochains mois. »