Avec le printemps, la ville s’éveille et les touristes arrivent en nombre. Il suffit de tendre l’oreille : allemand, espagnol, anglais et bien d’autres langues se mélangent dans un joyeux brouhaha. Mais avec ces visiteurs/ses se présente un défi : peut-on (re)découvrir Strasbourg sans parler français ? Pour y répondre, on a arpenté les rues et on a aussi rencontré 2 Strasbourgeois(es) originaires d’autres pays. 

Entre les Erasmus, les étudiant(e)s, les touristes, ainsi que celles et ceux qui ont quitté leur pays pour venir vivre l’aventure française à Strasbourg, vous obtenez une ville où il est tout à fait possible d’entendre cinq langues différentes dans la même rame de tram.

D’ailleurs, d’après le Conseil de l’Europe, les ressortissant(e)s étrangers/ères représentent 13,66% de la population totale strasbourgeoise. Une belle richesse culturelle !

Tram cathédrale République

place de la cathédrale touriste

1. © Célia Van Haaren / Pokaa ; 2. © Anthony Jilli / Pokaa

Mais ce qu’on oublie souvent, c’est qu’au-delà des monuments, des canaux et des ruelles pittoresques, il y a une véritable expérience à vivre pour celles et ceux qui débarquent sans parler un mot de français

La langue : obstacle et passerelle

Comme de nombreux/ses touristes, on commence notre quête à l’Office de tourisme. Marie, conseillère en séjour, nous rappelle que la saison touristique est désormais lancée. Elle nous explique que « les visites de la ville sont disponibles en français et en allemand, mais pas encore en anglais : il n’y a pas assez de demandes ».

Pourtant, à l’extérieur et à deux pas de là, on tombe sur un groupe qui suit un tour guidé en anglais. Vous les avez sûrement déjà aperçus, les « Happy Free Tours ». Ils errent chaque jour dans les ruelles pavées du centre-ville, avec comme objectif de faire découvrir la capitale européenne aux touristes anglophones, germanophones et francophones, à prix libre. 

Groupe touristes cathédrale © Camille Gantzer / Pokaa

On continue notre exploration au 5e Lieu. Ici non plus, l’anglais n’a pas droit de cité. ​Le centre culturel dédié à la découverte du patrimoine, de l’architecture et de la vie culturelle de la ville s’en tient au français et à l’allemand.

Pourtant, au cours de cette journée à flâner dans la ville, on croise des touristes aux langues d’autres horizons… De l’espagnol au thaïlandais, et du portugais au chinois en passant par le russe. Nos oreilles ont voyagé !

5e lieu

5e lieu musée cinquième lieu

5e lieu musée cinquième lieu

1. © Nicolas Kaspar / Pokaa ; 2. 3. © Anthony Jilli / Pokaa

Au cœur de la ville, on s’adapte. Commerçant(e)s, restaurateurs/rices, voyageurs/ses : toutes et tous trouvent des solutions pour se faire comprendre. Mais quand la langue fait défaut, c’est le langage des gestes qui prend le relais.

L’anglais approximatif fait partie du charme de la communication, et un « Vous devez refaire la queue » devient « You need to do the ‘file’ again ». Un moment qui nous fait sourire, mais qui nous rappelle la réalité : Strasbourg est multilingue certes, mais reste avant tout dominée par le français.

Strasbourg été touristes cathédrale © Adrien Labit / Pokaa

« Ça m’a obligée à sortir de ma zone de confort »

En fin d’après-midi, on s’installe à La Taverne Française. C’est là qu’on retrouve Mariam, qui a grandi en Italie, entre Parme et Milan. Elle est arrivée à Strasbourg en 2018, à l’âge de 19 ans. Elle décide de suivre ses parents, qui avaient choisi de s’installer en France. « C’était un peu compliqué au début. Je parlais anglais, oui, mais ici c’était pas si simple de s’en sortir qu’avec ça », raconte-t-elle. Avec quelques cours, elle arrive à obtenir un niveau B1 en français (youhou), ce qui lui permet de s’inscrire à l’université et de faire une licence en design.

Mais suivre des cours en français s’avère être LE vrai défi. « Apprendre une langue en théorie, ce n’est pas du tout la même chose que la pratiquer. » Elle ne lâche rien : « La première année, j’ai tout donné, je voulais vraiment y arriver. »

Mariam Mariam. © Camille Gantzer / Pokaa

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1. © Samuel Compion / Pokaa ; 2. © Coraline Lafon / Pokaa

Pour se faire des ami(e)s, c’est encore une autre paire de manches. « Les Français parlaient trop vite. En cours, on apprend des phrases toutes faites, des phrases bateau. On me comprenait pas toujours, je devais aussi souvent faire répéter, même dans les supermarchés. »

« Avant, j’étais timide. Cette expérience, ça m’a obligée à sortir de ma zone de confort. Ça m’a appris à prendre confiance en moi. » 

Pour tout le côté administratif, Mariam dit « avoir eu beaucoup de chance », car sa mère, elle, parle français. Une chance que Karan, 24 ans, n’a pas eue. Le jeune homme est arrivé à Strasbourg en octobre 2022, pour poursuivre son doctorat.

En plus de la langue, c’est la bureaucratie qui lui a donné du fil à retordre. Originaire de Jaipur, en Inde, il est venu en France avec un visa étudiant en poche, un peu d’argent, mais sans notion de français. D’ailleurs, ensemble, autour d’une bière bien locale, on parle en anglais. 

Karan © Camille Gantzer / Pokaa

Administratif mon amour…

Le premier mois, Google Traduction devient son meilleur allié. « Tout passait par là. Maintenant, ça va mieux. » Karan a commencé à apprendre le français, mais son emploi du temps chargé ne lui laisse que peu de temps pour progresser. Il a tout de même adopté certaines habitudes bien françaises : l’apéro… et la cigarette. « Je n’avais jamais fumé avant d’arriver ici », confie-t-il en riant.

Il se rappelle du stress qui découlait des premiers jours dans une ville inconnue. Expat’ oblige, il faut ouvrir un compte bancaire en France, et c’est là que les problèmes ont commencé. « Personne ne parlait réellement anglais, et on a été baladés de banque en banque avec mes amis étrangers. » Il continue : « C’était vraiment angoissant. Je ne connaissais personne ici qui pouvait m’aider, je ne connaissais pas la ville, et j’étais totalement perdu face à la bureaucratie française. Surtout quand on ne comprend pas la langue ni comment le système fonctionne. »

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Agenda la taverne française

© Documents remis

Autre difficulté majeure : la vie sociale. « Les groupes de Français ont tendance à ne parler qu’en français entre eux, même quand ils savent que tu es là et que tu ne comprends pas. » Mais le doctorant reconnaît aussi avoir eu de la chance : son colocataire est aussi Indien, il s’entend bien avec ses collègues, et il a réussi à nouer des amitiés avec des Français(es) qui parlent anglais. « Et je suis quelqu’un de très sociable, ça aide ! »

Et malgré tout, Karan répète son amour pour Strasbourg. « Je n’ai jamais rencontré de Français aussi gentils qu’à Strasbourg. Même quand les gens ne parlent pas anglais, on trouve toujours un moyen de se comprendre. » « Strasbourg est super, les gens sont supers et la météo aussi, enfin… maintenant », plaisante-t-il.

Rédactrice : Camille Gantzer