L’incident pourrait prêter à sourire, mais il est symptomatique d’un problème plus vaste. En 2015, lors d’un exercice militaire de l’OTAN en Europe, les tourelles de véhicules d’infanterie Bradley transportés par train ont été arrachées par le toit trop bas d’une gare polonaise, manifestement inadaptée au passage de blindés, rapporte le Financial Times.

« Dix ans plus tard, des ponts délabrés, des écartements de rails incompatibles et une bureaucratie labyrinthique demeurent des obstacles majeurs au transport de matériel militaire à travers l’Europe, alerte le journal. En 2022, la France n’a pas réussi à transporter des blindés à l’Est par voie terrestre via l’Allemagne, les douanes teutonnes jugeant le chargement trop lourd. Ils ont été amenés jusqu’en Grèce par bateau depuis Marseille, puis jusqu’en Roumanie par voie ferrée.

Time is running out

C’est un aspect négligé du réarmement de l’Europe : il est important d’acheter du matériel militaire et de bâtir des armées puissantes. Mais tout cela ne sert à rien si la logistique ne suit pas et que la projection de forces sur le flanc est du continent (là où les Russes risquent d’attaquer) est trop lente.

« Actuellement, le déploiement d’une armée depuis les ports stratégiques de l’ouest vers les pays limitrophes de la Russie ou de l’Ukraine prendrait environ 45 jours, explique le Financial Times. L’objectif est de ramener ce délai à 5, voire 3 jours. »

Les plans détaillés de l’OTAN pour une opération massive à l’Est restent secrets. On sait néanmoins qu’ils impliqueraient le déplacement d’environ 200 000 soldats, 1 500 chars et 2 500 blindés depuis les États-Unis, le Canada et le Royaume-Uni et à travers l’Europe. La cartographie des routes logistiques s’est améliorée depuis l’incident de la gare polonaise, selon le général américain Ben Hodges. Mais les chemins de fer et les tunnels restent une source de préoccupation.

Un train de retard

« Le gabarit de chargement standard de l’UE — les dimensions maximales des trains de marchandises pour qu’ils puissent passer en toute sécurité sous les ponts et dans les tunnels — est trop étroit pour le transport militaire, explique le journal. L’inclinaison des voies peut également poser problème. » Un chargement trop lourd risque ainsi de se renverser.

L’Union européenne a investi 24 millions d’euros dans le projet Rail Baltica pour rendre les réseaux ferrés estionien, letton et lituaniens compatibles avec ceux des autres pays européens, avec à l’esprit le transport militaire de chargements particulièrement lourds.

Mais pour acheminer du matériel depuis l’Espagne et le Portugal, les gabarits sont encore différents. Le réseau routier doit être mis à niveau, notamment en Allemagne, noeud logistique central qui accueille 37 000 soldats américains.

« Les autorités travaillent à la mise en place d’un « espace Schengen militaire » qui permettrait au moins d’harmoniser les réglementations, actuellement disparates, régissant les mouvements de troupes, ajoute le Financial Times. L’Allemagne, la Pologne et les Pays-Bas ont signé l’an dernier un accord visant à simplifier le transport militaire transfrontalier. » Vive la libre circulation des citoyens, des marchandises et des chars d’assaut.