La ministre chargée des Comptes publics, invitée des « 4 Vérités » lundi 24 novembre, revient sur le rejet massif du budget 2026 à l’Assemblée nationale, soulignant que « cela reste une première étape ».

Que va-t-il advenir du budget 2026, à présent entre les mains du Sénat après avoir été rejeté à l’unanimité – à une voix près – par les députés après plusieurs semaines de débats ? Pour en parler, Amélie de Montchalin, ministre chargée des Comptes publics, est l’invitée de Gilles Bornstein, dans les « 4V » du lundi 24 novembre. Elle demande notamment aux partis de « ne pas faire la présidentielle de 2027 pendant le budget de 2026. »

Ce texte correspond à la retranscription d’une partie de l’interview ci-dessus. Cliquez sur la vidéo pour regarder l’entretien en intégralité.

Gilles Bornstein : Vous resterez comme la ministre du Budget qui a vu son texte rejeté à l’unanimité, sauf une voix. Ce n’est pas grave, c’est un peu grave, c’est très grave ? Que peut-on dire ?

Amélie de Montchalin : Déjà, ce n’est pas mon texte. C’est le texte du Parlement. Vous savez qu’avec Sébastien Lecornu, on s’est lancé dans une aventure démocratique inédite. C’est la première fois depuis 1958 que les députés n’ont pas de majorité absolue, mais c’est aussi la première fois qu’un gouvernement renonce à utiliser le 49.3 dans une telle situation. Donc c’est le texte du Parlement. Et ce qu’il s’est passé, c’est que vous avez un certain nombre de mesures qui sont des mesures de progrès, qui ont été votées dans ce long débat de 125 heures, et qui sont des progrès sur le logement, sur l’agriculture, et ça, c’est positif. Et puis vous avez aussi quelques mesures qui ont été mises là par les extrêmes, par les Insoumis et le RN, qui ont voté ensemble des impôts considérés par le reste de l’hémicycle comme n’étant pas bons pour le pays.

La partie droite de l’hémicycle, pas tout le reste de l’hémicycle.

Oui, enfin aussi par le centre, vous avez un certain nombre de députés qui ont considéré que taxer à 30 milliards nos entreprises, ce n’était pas une bonne idée, vu la situation que nous connaissons. Mais ce qu’il s’est passé pendant ce vote, il faut que ça reste la première étape, effectivement difficile, de la construction d’un compromis qui est nécessaire pour le pays. Moi, ce que je vois dans ce vote aussi et dans cette situation politique, c’est que ce qu’on demande avec le Premier ministre, très humblement, aux partis, c’est de ne pas faire la présidentielle de 2027 pendant le budget de 2026. C’est qu’on respecte au fond les Français et qu’on dise qu’en 2026, la France a besoin d’un budget et que l’élection présidentielle viendra ensuite, mais qu’on n’inverse pas, qu’on ne mette pas la charrue avant les bœufs. On a besoin que la présidentielle reste la présidentielle, que les débats, que les propositions, se fassent dans ce cadre-là. Mais dans un peu plus d’un mois, on a besoin de donner à notre pays un cap, et ce cap, on doit pouvoir se mettre d’accord dessus, nous, partis de gouvernement. Il faut que les extrêmes ne nous emmènent pas là où ils veulent nous emmener, c’est-à-dire dans un monde où il faut refaire des élections, où il faut dissoudre. Si on fait tout ça, il n’y aura pas de budget et, au fond, ce serait les intérêts des partis avant les intérêts des Français.

Le texte va aller au Sénat, où Bruno Retailleau est revenu siéger cette semaine et il a sorti la sulfateuse contre votre budget. « Ce budget, c’est le hold-up du siècle, le gouvernement hypothèque notre avenir ». Est-ce que Les Républicains, ou en tout cas leur patron, sont passés dans une opposition farouche ?

Non, je ne crois pas que Les Républicains soient passés dans une opposition farouche. Il y a un président de parti qui n’est plus au gouvernement et qui, comme parfois les présidents de partis, a tendance à simplifier les choses. Et je pense qu’il les simplifie un peu au-delà de ce qu’est la réalité. Je ne pense pas que Bruno Retailleau pense, au fond de lui, vraiment que ne pas avoir de budget est une solution pour la France. Je ne pense pas qu’au fond de lui, il ne voit pas que pour le ministère dont il était ministre il y a encore quelques semaines, avoir une loi spéciale, qui ne permettrait pas d’augmenter les effectifs et le budget, soit une bonne idée. Je ne pense pas que Bruno Retailleau pense que ce qui était le vote d’une étape soit la copie finale.

Donc, il dit tout ça parce que lui, justement, il fait partie de ceux qui jouent la présidentielle avant de parler du budget ?

Il n’est plus au gouvernement. Quand on est au gouvernement et quand on est sous l’autorité d’un Premier ministre qui dit que l’urgence, c’est 2026, il n’a plus les mêmes contraintes, manifestement. Je pense qu’il pense effectivement, comme certains, à 2027. Je dis juste, avec beaucoup de calme, que si on joue la présidentielle de 2027 dans l’hémicycle où l’on débat du budget de 2026, on n’aura pas le budget de 2026, et probablement que la présidentielle se passera très mal. Parce que d’ici là, ça veut dire que le pays aura été laissé en suspens, en service minimum, qu’on ne se sera pas occupé des choses urgentes qu’on doit régler maintenant. Et donc, moi, ma responsabilité, c’est de dire : « Minute papillon, on fait une pause, on met les choses dans le bon ordre et on est capables, nous, partis de gouvernement, de montrer aux Français qu’on travaille pour eux, pas pour anticiper une élection qui viendra, elle est prévue en 2027, elle aura lieu, chacun pourra débattre ». Mais là, maintenant, vous voyez, le 24 novembre 2025, notre objectif, notre priorité, notre devoir, ce qui est nécessaire pour le pays, c’est d’ailleurs ce que dit le rapporteur général du budget au Sénat, qui est lui aussi un membre du Parti des Républicains, c’est que nous donnions un budget au pays et que nous nous occupions des Français maintenant.

Bruno Retailleau souhaite ne remplacer, parmi les fonctionnaires, aucun départ à la retraite. Est-ce que vous y êtes prête ?

Là aussi, vous voyez, c’est simplificateur. Moi, je suis ministre de la Fonction publique. Avec David Amiel, on travaille à ce que les services publics marchent mieux, pour les Français et aussi pour les agents publics. Si vous ne remplacez aucun départ à la retraite, je vous le dis très simplement, le ministère dont Bruno Retailleau était ministre ne verra aucun effectif de police. En plus, il en verra même moins. Donc, tous les moyens qu’on a prévus de mettre pour nos armées, pour la justice et l’administration pénitentiaire, pour la gendarmerie, pour la sécurité civile, pour la police de proximité, pour la lutte contre le narcotrafic, ça ne sera pas possible. Si vous ne remplacez pas les départs à la retraite, ce n’est pas possible parce que vous avez aujourd’hui une démographie qui fait qu’il y a beaucoup de départs. Il y a évidemment des ministères où on continue de faire des efforts de productivité. Donc on ne remplace pas toutes les personnes qui partent. Mais s’il y a un ministère où on doit le faire aujourd’hui, c’est évidemment le ministère de l’Intérieur, pour la sécurité des Français. Donc c’est une proposition qui ne marche pas.

Vous ne le souhaitez pas, mais le plus probable désormais est qu’il n’y ait pas de budget le 31 décembre.

Non, ce n’est pas le plus probable.

C’est probable.

Regardez ce qu’il s’est passé il y a 15 jours sur le budget de la Sécurité sociale. Il y a eu un vote positif. Il n’y a pas de majorité absolue. Nous n’avons pas, nous, un gouvernement de majorité. Pourtant, il y a eu un vote, qui a voté pour ce budget. La Sécurité sociale, c’est la moitié.

Le plus probable est qu’il y ait un budget le 31 décembre ?

Le plus probable, c’est que les Français, et je crois qu’on l’entend tous, veulent que nous nous mettions d’accord, veulent que les députés se mettent d’accord. Et moi, je ne me résous pas à considérer que nous serions déjà dans une situation d’échec. Qui veut l’échec ? Marine Le Pen, qui veut la dissolution. Jean-Luc Mélenchon, qui veut que le Président parte de l’Élysée.

Tout le monde a voté contre. Même votre parti Renaissance s’est abstenu. Il n’y a pas que les extrêmes qui ont acté cet échec.

Oui, mais c’est la première étape. Et si, quand on est à la mi-temps d’un match, on considère qu’on a déjà perdu, il y a beaucoup de matchs que l’équipe de France a pourtant gagnés, qu’elle n’aurait jamais gagnés. Donc moi, je veux qu’on reste dans une logique de : on travaille pour les Français et on leur donne un budget. Et sur la Sécurité sociale, qui est la moitié de la dépense publique, la moitié des services publics, le Parlement s’est mis d’accord. Donc, je ne considère pas que l’autre moitié est infaisable.

Jeudi, le président de la République pourrait détailler les modalités d’un nouveau service militaire basé sur le volontariat, payé entre 900 et 1 000 euros. Vous avez cet argent, pour payer les éventuels volontaires ?

Je laisserai le président de la République, chef des armées, préciser les choses. Mais quand le Président annonce une nouvelle ambition pour la défense, une loi de programmation militaire qui renforce nos capacités de défense, c’est aussi pour faire face à de nouvelles menaces et le président de la République expliquera comment, pourquoi. Dans le moment que nous vivons, vous voyez ce qu’il se passe à Genève entre les Américains, les Européens, les Ukrainiens… Nous avons besoin de protéger notre pays et nous avons besoin de le faire en ayant des outils adaptés à notre époque. Donc ce ne sera pas le service militaire qu’ont connu, en l’occurrence, mon père ou mon grand-père, ça, c’est clair. Mais le président de la République fera ses annonces, et budgétairement. Et pourquoi nous faut-il un budget ? Parce que dans un budget, il y a aussi ce qui nous protège. Il y a aussi le budget des armées. Il y a aussi le budget, on a dit, de notre administration pénitentiaire et aussi le budget de la mission à l’Intérieur. Donc oui, moi, ministre des Comptes publics, ministre du Budget, mon devoir, c’est de dire la vérité aux Français : on peut avoir un budget. Et de leur dire la vérité : ce budget, il est aussi bon pour assurer l’essentiel, notamment notre défense.