Ce n’est pas arrivé grâce à un plan d’urgence des pouvoirs publics, ni grâce à une mobilisation institutionnelle. C’est arrivé parce qu’une Eglise, Saint Polycarpe, dans les pentes de la Croix Rousse, a choisi d’ouvrir ses portes avec l’assentiment des autorités catholiques lyonnaises.

Une décision simple, presque évidente, mais qui dit tout de notre époque. D’un côté, des mineurs isolés qui survivent depuis des mois sous des tentes au jardin des Chartreux. De l’autre, un silence administratif qui s’éternise. Au milieu, une communauté qui refuse de détourner le regard et un collectif qui agit et alerte depuis des mois. Et sous les commentaires des réseaux et des journaux des “Qu’ils aillent à la mosquée, qu’ils quittent NOTRE église”.

On ne se savait pas que des gens qui, pour la plupart, n’ont jamais mis les pieds à Saint-Polycarpe (coucou Jeannot du 55 et Paulette de la Creuse et et les autres, on vous voit sur Facebook) et n’ont jamais ouvert une Bible possédaient davantage l’église que celles et ceux qui en ont la gestion paroissiale et ont accepté de recevoir des migrants.

La dignité passe avant les étiquettes

Ce qui se joue ici n’a rien de théologique. On n’offre pas un banc d’église en fonction de la religion de celle ou celui qui meurt de froid. D’ailleurs un certain nombre des jeunes concerné(e)s sont catholiques. Mais ce n’est pas le sujet. On accueille parce que quelqu’un a froid, parce qu’on ne laisse pas un jeune seul dans la nuit.

Pourtant, certains commentent déjà en expliquant que ces mineurs devraient aller à la mosquée. Comme si la souffrance devait être triée. Comme si la dignité avait un guichet séparé selon la foi présumée. Comme si l’urgence avait le temps de demander la carte d’identité spirituelle.

Les faux défenseurs d’une foi qu’ils n’appliquent jamais

La vérité est simple. Beaucoup de ceux qui parlent ainsi ne pratiquent aucune foi, ou n’en connaissent que la façade. Ils ne prient pas, n’aident pas aux maraudes, n’étaient pas là au lancement lyonnais de la revue chrétienne Le Cri.  Ils commentent juste haineusement sur les réseaux sociaux de milliardaires de la Silicon Valley. Ils convoquent la religion uniquement pour refuser la solidarité. Ils invoquent la cohérence alors que leur seule cohérence est de se défausser. Une église, une mosquée, une synagogue, un temple, un gymnase, une salle des fête…

Une tradition d’accueil qui remonte loin

Saint Polycarpe n’en est pas à son premier geste. Ce lieu est marqué par une longue tradition d’action concrète. Pauline Jaricot, figure chrétienne lyonnaise sans doute inconnue de nos trolls d’internet, y a lancé, au XIXe siècle, les premières collectes de soutien à la solidarité des privés de logement, sou après sou, avec ses voisines ouvrières. Une foi qui se vit dans les mains, avant de se dire dans les mots. Une foi qui ne sert pas à établir des frontières, mais à tenir debout celles et ceux qui tombent. L’histoire continue aujourd’hui, autrement, mais avec la même logique : se tenir du côté de la vie.

Un répit, pas une solution

Il faut le dire clairement : l’accueil de ces jeunes n’est pas une solution pérenne. C’est un répit. Un geste de première urgence. Une manière d’empêcher le pire en attendant que les institutions fassent enfin leur travail. Ces mineurs ne demandent pas un traitement de faveur. Ils demandent l’application de la loi,, un toit, un suivi, un avenir. Rien de plus. Rien de moins.

D’ailleurs alors qu’une partie du PS Lyonnais traitait l’idée de la candidate LFI Anais Belouassa-Cherifi de reloger les familles à la rue dans des logements vides de « proposition Miss France », la Métropole de Lyon faisait, de façon transpartisane, un recensement pour définir où étaient les logements vacants dans notre territoire et proposait des éléments concrets. Même s’ ils ne peuvent à eux seuls résoudre tous les soucis. Et qu’il faudra construire bien plus de logements que ces dernières années.

L’immobilité qui ne peut plus durer

Les pouvoirs publics nationaux et locaux ne peuvent pas se satisfaire de cette situation. Ils ne peuvent pas continuer à renvoyer ces jeunes d’un guichet à un autre en espérant que l’hiver passe sans drame. Il existe des solutions. Le collectif soutiens/migrants Croix Rousse le répète depuis des mois. La solidarité n’est pas qu’un mot qu’on agit pour se faire réélire.

Des habitants se relaient à l’église. Des bénévoles apportent nourriture, couvertures, soutien juridique. Ce mouvement spontané dit quelque chose de fort : une ville qui refuse que sa jeunesse, même venue d’ailleurs, dorme sous la glace. Une ville qui sait que la solidarité n’est pas un slogan ou un moyen d’obtenir un mandat, mais un geste qui se répète jour après jour.

 En attendant, l’église reste ouverte. Et cette ouverture, dans la nuit lyonnaise, vaut bien plus qu’un symbole. C’est une vie sauvée, puis une autre, puis une autre…

Retrouvez tous les billets de Romain Blachier sur son site

Romain Blachier