Lorsque les archéologues ont entrepris une campagne de fouilles dans les montagnes d’Aurlandsfjellet, en Norvège, ils s’attendaient à trouver quelques objets isolés libérés par la fonte des glaces. Ils ne s’attendaient certainement pas à voir apparaître, littéralement sous leurs yeux, l’un des systèmes de chasse les plus sophistiqués jamais découverts en Europe. Figée depuis 1 500 ans, cette installation d’une ampleur inattendue révèle une organisation digne d’une véritable industrie préhistorique, remettant en question ce que l’on croyait savoir sur la gestion des ressources animales au début du Moyen Âge.

Un piège monumental révélé par le retrait des glaces

Dans le comté de Vestland, sur les hauteurs de l’Aurlandsfjellet, la fonte rapide des glaces a mis au jour une structure dont l’existence semblait improbable : un système complet, cohérent et remarquablement élaboré destiné à capturer les rennes en masse. Contrairement aux pièges isolés déjà connus en Scandinavie, les archéologues ont trouvé un dispositif s’étendant sur une large zone, constitué de deux longs couloirs formés de branches et de troncs méticuleusement empilés. Ces barrières, véritables murs végétaux, convergent vers un vaste enclos en bois massif. Les animaux y étaient rabattus, piégés puis immobilisés.

Cette découverte dépasse de loin ce que l’on connaissait jusqu’ici. Selon les archéologues du Musée universitaire de Bergen, il s’agit du premier piège en bois de cette ampleur jamais mis au jour en Norvège, et peut-être même en Europe.

Le caractère spectaculaire du site tient aussi à la manière dont il est apparu : les éléments de la structure jaillissaient littéralement de la glace fondante au moment des fouilles, comme si le passé resurgissait en temps réel. Les chercheurs ont rapidement compris qu’ils ne faisaient pas face à une simple zone de chasse, mais bien à une installation conçue pour exploiter de grands troupeaux de manière méthodique et organisée.

Une organisation digne d’une chaîne de production antique

En fouillant l’intérieur de l’enclos, les archéologues ont retrouvé de nombreux bois de rennes portant des marques de coupe nettes. Ces traces, parfaitement visibles, témoignent d’un traitement sur place : les animaux étaient vraisemblablement tués, dépecés et transformés directement à proximité du piège. Le site fonctionnait donc comme une véritable “usine” de transformation, optimisée pour gérer un volume important de proies.

Cette interprétation est renforcée par la présence d’outils de chasse, notamment des pointes de lance en fer, des fragments de hampes de flèches, et même une rame dont la fonction exacte demeure mystérieuse mais pourrait indiquer la présence d’un campement saisonnier à proximité.

Plus surprenant encore, les fouilles ont révélé un petit artefact en bois de cerf, semblable à une miniature de hache. Pour les chercheurs, cet objet pourrait représenter un insigne, un marqueur d’appartenance ou un accessoire rituel porté par les chasseurs.

Ajoutée aux marques de coupe standardisées observées sur les bois de rennes, cette découverte suggère l’existence d’un groupe structuré, peut-être doté de rôles spécifiques au sein du processus de chasse et de transformation. Loin d’une activité improvisée, l’installation reflète un niveau d’organisation qui oblige à revoir notre compréhension des pratiques cynégétiques scandinaves de l’époque.

piège rennesCrédit : Université de Bergen Facebook

Quand le changement climatique devient archéologue malgré lui

Si cette découverte exceptionnelle est aujourd’hui possible, c’est à un phénomène contemporain que nous le devons : le réchauffement climatique. Depuis plusieurs années, les glaciers et névés des hautes montagnes norvégiennes reculent à un rythme inédit, révélant progressivement des objets autrefois parfaitement conservés dans un environnement froid et stable.

Dans le cas d’Aurlandsfjellet, cette fonte a exposé un site resté intact pendant un millénaire et demi. Mais ce dévoilement brutal s’accompagne d’un risque majeur : une fois libérés de la glace, les matériaux organiques – bois, textiles, fibres – commencent à se dégrader rapidement. L’urgence des archéologues est donc double : documenter, prélever, préserver avant que ces vestiges ne disparaissent définitivement.

La singularité du site d’Aurlandsfjellet ouvre une fenêtre inédite sur l’ingéniosité des peuples nordiques qui parcouraient ces montagnes. Elle suggère que des installations similaires, encore enfouies sous la glace, attendent d’être découvertes… si le climat continue de se réchauffer. Une perspective à la fois fascinante et inquiétante : chaque nouvelle trouvaille enrichit notre compréhension du passé, mais témoigne aussi des transformations rapides et profondes que subissent les paysages arctiques et subarctiques.