« Il y a des risques, mais on n’en prend pas », pose Franck Seguin, rédacteur en chef et photographe à L’Équipe. En nous montrant des photos au milieu des requins… Dans un petit bureau, au journal, on regarde sur son téléphone un gros requin, gueule ouverte et air peu épanoui. « Parce qu’il a un hameçon pris au coin de la gueule. » Ah. Sur une autre photo, il y en a 50 peut-être. Et Franck qui les shoote par en dessous. « Il y a un risque et il n’y en a pas. Normalement, ils n’attaquent pas. Là, c’est vrai qu’ils sont beaucoup, il suffit qu’il y en ait un déviant qui te croque et ça peut être la panique totale, les autres peuvent s’y mettre. Celui avec l’hameçon, il était très énervé, il faut rester calme. » Dans l’article qui allait avec cette plongée avec l’apnéiste Pierre Frolla, en légende d’une photo il racontait : « Ça grouille de partout ! Là, la bête du premier plan est à 15 cm de moi, l’eau bouillonne tout autour et je me répète sans cesse : Pense à ton cadrage, pense à ton cadrage… »

C’est aussi sur ça que se concentrait Sébastien Leban pour un sujet sur les faces cachées de Dubaï, très prisé par les champions. Avec le reporter Thymoté Pinon, ils obtiennent de visiter un zoo privé. « Dans une salle, on nous amène un python gigantesque, ils sont trois pour le porter. Le propriétaire du zoo, Saif Ahmad Belhasa, s’installe sur un trône et pose avec sur les genoux. Je me mets par terre pour prendre les photos et je me rends compte qu’il y a un bébé alligator dans un coin. Et un deuxième. En liberté. Je dis : Les alligators, là, c’est normal ? « T’inquiète ! » Là, il ramène un bébé tigre et lui donne de la viande, à un mètre de nous. Pareil avec un aigle. » Puis il fait entrer le photographe dans l’enclos de l’ours.

« Il faisait peut-être 2 m et 400 kg. On a posé la question, il n’était ni sédaté ni drogué. C’est pas extrêmement rassurant d’être dans une cage avec un ours gigantesque qui peut te tuer d’un coup de patte. Je repérais toujours derrière moi où était la porte, si jamais l’autre se prenait un coup de patte et que j’étais le prochain sur la liste ! Tu es conscient du danger, mais tu es là pour faire le taf, tu restes concentré sur ton truc. Simplement, tu évalues les possibilités en cas de problème. »

Les problèmes, on ne les imagine pas en regardant les photos. De ski de descente, par exemple, où il est nécessaire d’avoir un peu plus que le niveau Piou-Piou puisque les photographes font une reconnaissance de la piste pour trouver la meilleure place, qui donnera la meilleure photo.

« Ma première année à Kitzbühel (Autriche), j’ai vite compris le problème, se souvient Sébastien Boué. La piste, c’est une patinoire avec des petites bosses, ton ski n’accroche pas. En plus, tu as le matériel sur le dos, tu es en flip. Tu ne peux pas t’arrêter, tu ne peux pas freiner, tu ne peux pas tourner, tu ne peux rien faire. » Tu fais comment, alors ? « Ben, parfois, tu t’arrêtes dans les filets ! Maintenant, quand c’est trop dangereux sur une piste, je mets des crampons et je pars depuis le bas. »

Il raconte Wengen, aussi, en Suisse. « La première fois, je monte au départ et un peu après je vois un endroit où ça descend à-pic et des gens qui descendent accrochés à des cordes. Je me dis : Mince, elle est où la piste ? Et je fais demi-tour. » Bon, ben, il était dessus, à la Tête de chien, la partie où, avec la vitesse, les skieurs décollent et atterrissent 40 m plus loin. Alors, Seb a retiré ses skis et est descendu en rappel…

Dans la famille des côtes et des descentes, il y a le Tour de France. Pour pouvoir suivre la course au plus près, les photographes sont à l’arrière de motos de presse sur lesquelles ils peuvent descendre des cols à 100, voire 120 km/h. Le 15 juillet 2016, c’est pour une étape de contre-la-montre que le photographe de L’Équipe Bernard Papon est derrière Marc Meilleur. Lors d’une remontée vers le départ, sur une route annexe ouverte à la circulation, ils percutent une voiture arrêtée en plein milieu de la route dans un virage. « Je vois la scène. On sait qu’on va s’éclater sur la voiture. Marc pile très fort. J’ai le réflexe de me mettre en flexion sur les cale-pieds, les fesses décollées. Je me prépare au choc. J’ai volé par-dessus la moto puis par-dessus la voiture. Un vol plané ! Ça va très vite… » Bernard se retrouve au sol.

« Sur le cul. Les boîtiers complètement explosés. Je me regarde, je me palpe. Pas une égratignure. Un petit miracle ! En revanche, le lendemain j’étais un vieillard, des courbatures partout. Mais rien d’autre. » Si, quand même. Le choc d’avoir vu son pilote très sérieusement blessé à la jambe.

Deux ans plus tard, une deuxième chute à moto, sur le Tour, à Lorient, se finira moins bien pour le photographe. Triple fracture tibia-péroné. « Deux cyclistes tombent sur un ilot directionnel. Je shoote, je me rassois, je regarde l’écran de mon boîtier pour éditer les photos. L’instant d’après, on est par terre. C’était une chute anodine, à 20 km/h peut-être, mais comme je regardais mon appareil cette fois je n’ai pas pu anticiper. »

« Tu viens faire des photos de foot et ça part en sucette. Les tessons volaient autour de nos têtes »

Dans un autre style, il n’a pas pu non plus anticiper la réaction du Hezbollah, au Liban. Il était à Beyrouth avec un autre photographe de L’Équipe, Stéphane Mantey, en 2000, pour la Coupe d’Asie des nations. Un matin, ils partent avec une membre de l’organisation pour faire des images de gamins jouant au foot. Quand un môme envoie le ballon hors de l’enceinte, ils vont le récupérer. « On est tombés sur un char caché sous une bâche, décrit Stéphane Mantey. On regarde un peu, on prend le ballon et on retourne sur le terrain. Cinq minutes après, des gars du Hezbollah arrivent et nous posent des questions en arabe. » Leur accompagnatrice traduit : ils ont vu quelque chose qu’ils n’auraient pas dû voir.

On les embarque dans une voiture jusqu’à une boutique dont le rideau métallique est refermé derrière eux. « C’était après les prises d’otages dans la région, on a commencé à se faire des films, se souvient Stéphane Mantey. Pendant le trajet, j’ai discrètement caché une pellicule, je n’avais pas envie de perdre mes photos. » Bien vu.

« Ils nous ont fait ouvrir nos appareils, ils ont pris ma pellicule et la carte numérique de Bernard. Et ils sont allés passer des coups de fil. On sentait la fille de l’orga pas très sûre d’elle. Il y avait de la tension. On s’est vus en photo au Journal de 20 heures : « 237 jours que nos collègues sont prisonniers. » »

Et puis, au bout d’une demi-heure, on les ramène. « Ils ont fini par jouer avec les gamins, ils nous ont même demandé de faire une photo avec eux. » Stéphane réfléchit : « Dans notre métier, le vrai risque c’est plutôt les supporters de foot. Je me suis déjà fait taper dans un kop. C’est imprévisible. Tu as un connard qui va décider de te mettre un coup de latte parce qu’il a vu ton appareil photo, son copain va trouver ça drôle et t’en mettre un deuxième. »

Sébastien Boué nous a aussi raconté le Lyon-Besiktas du 13 avril 2017, en Ligue Europa. « Une de mes pires expériences. Sur le parvis, ce n’était plus des bagarres, c’était une guerre civile. Tu viens faire des photos de foot et ça part en sucette, ça se bastonne dans tous les sens et toi, tu es au milieu, à te dire qu’il faut aller faire des photos. C’était chaud, les tessons nous volaient au-dessus de la tête. Franchement, je ne sais pas si j’irais encore faire ce genre de photos. C’est trop dangereux. »

Dans le genre, on a aussi Franck Seguin, parti à Rio avec le reporter Karim Ben Ismaïl pour un magazine spécial avant les JO de 2016, et qui vont suivre une opération du BOPE, un groupe d’intervention qui ne fait pas de quartiers : leur opération de la semaine dernière a fait 64 morts. « C’est ce que j’ai trouvé le plus dangereux, avoue Franck. Les hélicos tournaient, on montait dans les ruelles avec des gars qui avaient des fusils d’assaut à la main, sachant qu’ils tiraient pour tuer. Il y avait un vrai risque d’être pris sous un feu nourri. » Il souligne qu’ils avaient suivi des militaires français en Afghanistan, à Uzbin en 2008, quelques mois après l’embuscade dans laquelle dix soldats français avaient été tués, pour un reportage sur le sport dans l’armée française en opération extérieure.

« Il y avait un vrai risque d’être pris sous un feu nourri »

Pourtant, il a trouvé qu’il y avait plus à craindre à Rio. Il montre une photo de groupe. « C’est au moment du brief du départ, quand ils leur disent : « On tire à vue les gars. » » Ce jour-là, il ne s’est rien passé, les hommes visés s’étaient enfuis avant. Il montre une autre photo. Un tournoi de foot de trafiquants. « Le chef local avait douze têtes de mort tatouées sur l’omoplate, pour symboliser les personnes qu’il avait tuées. C’est lui qui avait autorisé qu’on soit là. Tu te dis que si tu fais un truc qui lui plaît pas, bon… »

Bernard Le Bars, ce qui ne lui plaît pas, ce sont les risques qu’il fallait prendre au départ des courses au large. Photographe indépendant spécialiste de voile, pas le plus « trouillou » du monde puisque ancien pompier de Paris, sa plus grosse frayeur, il l’a eue au départ de la Route du Rhum 2022, au large de Saint-Malo, sur le bateau de presse. Ce jour-là, les conditions de mer sont dantesques, le départ a déjà été reporté de plusieurs jours. « Les bateaux de course vont de plus en plus vite, à plus de 30-35 noeuds, donc il est de plus en plus compliqué de les suivre, a fortiori dans des mers formées, analyse Bernard Le Bars. Pour shooter, je devais monter sur une espèce de plateforme en hauteur. Je prenais beaucoup d’eau dans la figure. Notre bateau allait vite et il y avait tellement de mer qu’à un moment il a fait une embardée et j’ai failli passer par-dessus bord. »

Il heurte très violemment le bastingage. « Les mecs qui étaient avec moi m’ont entendu gueuler, ils ont eu vachement peur, d’autant que je n’étais pas attaché et que quand on tombe de plusieurs mètres dans une mer comme ça, avec des bateaux dans tous les sens, même avec un gilet de sauvetage, on n’est jamais sûr de comment ça se termine. Surtout dans l’eau froide du mois de novembre. » Coude touché, attelle, arrêt de travail. Il dit qu’il s’en sort bien. « On dit que, sur un bateau, il faut une main pour toi, une main pour le bateau. Mais nous, on a besoin d’une main pour déclencher et une pour faire la mise au point. Alors, on doit réussir à se caler sans risquer d’être emporté. Quand tu regardes dans le viseur pour chercher ta photo, si ton bateau prend une vague de travers, tu peux être éjecté. Il y a un gros danger. »