Par Philippe Oswald.
Synthèse n°2607,
Publiée le 24/11/2025
– Photo : L’écrivain franco-algérien Boualem Sansal prononce son discours après avoir reçu le Prix de la paix de l’Association des libraires allemands (« Friedenspreis des Deutschen Buchhandels ») lors d’une cérémonie à Francfort, le 16 octobre 2011. Crédits : Reuters.
Après un an de prison en Algérie, Boualem Sansal est rentré en France via Berlin. L’Allemagne attribue sa libération aux bonnes relations diplomatiques et commerciales qu’elle entretient avec Alger. Emmanuel Macron a salué cette médiation et remercié le président algérien pour son « geste d’humanité ». Cette grâce accordée à un otage touchera-t-elle aussi le journaliste français Christophe Gleizes ?
Emprisonné le 16 novembre 2024 en Algérie, sous le coup d’une condamnation à cinq ans de prison pour « atteinte à l’unité nationale », Boualem Sansal, 81 ans, est rentré en France le 18 novembre dernier. Il n’arrivait pas directement d’Alger mais de Berlin. Il y avait atterri le 12 novembre dans un avion envoyé par les autorités allemandes, et y avait été soigné (il souffre d’un cancer de la prostate). Pour le ministre des affaires étrangères français, Jean-Noël Barrot, « cette libération, c’est d’abord une victoire de la diplomatie, de la diplomatie française, de la diplomatie allemande, et c’est un désaveu cinglant pour les partisans de la méthode forte, de la brutalité et de l’invective qui ne conduisent à rien » (Le Monde, 18/11/2025). Cible n°1 de cette charge : Bruno Retailleau, l’ancien ministre de l’Intérieur, qui préconisait un « rapport de force » avec l’Algérie et prédisait l’échec de la « diplomatie des bons sentiments ». Emmanuel Macron a lui aussi salué « une méthode faite de respect, de calme et d’exigence », et remercié le président algérien pour son « geste d’humanité ». Réplique d’un proche de Bruno Retailleau : « La grande différence entre le chef de l’État et nous, c’est qu’on ne remercie pas les preneurs d’otages, surtout quand ils retiennent encore Christophe Gleizes » (Le Figaro, 13/11/2025).
« Boualem Sansal a atterri à Berlin, pas à Paris. C’est une réalité », a relevé Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La Revue politique et parlementaire, et fondateur du comité de soutien de Boualem Sansal, sur Public Sénat (13/11/2025). À Berlin, on souligne que « le président fédéral a pris l’initiative de contacter l’Algérie », en précisant que « plusieurs appels téléphoniques ont eu lieu » entre les deux présidents, « avant qu’une grâce ne soit finalement accordée ». De fait, explique RTL (13/11/2025), « … les deux hommes se connaissent bien. Abdelmadjid Tebboune a d’ailleurs été soigné en Allemagne à plusieurs reprises […]. Derrière l’initiative du président Frank-Walter Steinmeier se prépare surtout une visite officielle du président de la République algérienne à Berlin. […] Mais Abdelmadjid Tebboune pouvait-il venir en Allemagne avant une libération de Boualem Sansal ? L’écrivain est très populaire outre-Rhin, il y a reçu l’équivalent allemand du prix Goncourt. On peut donc supposer que son emprisonnement aurait entaché cette visite festive. »
La diplomatie allemande a donc fait coup double en tendant une main secourable – mais humiliante – au président français, tout en rendant service au régime algérien. Celui-ci est très isolé sur la scène internationale, mais Berlin entretient avec Alger de fructueuses relations commerciales, notamment dans l’armement. Outre qu’elle n’est pas frappée de l’opprobre d’avoir colonisé l’Algérie, l’Allemagne s’est gardée de contester la souveraineté de l’Algérie sur le Sahara occidental. Or, c’est la prise de position de Macron en faveur du Maroc, à Rabat, le 29 octobre 2024, qui a mis en ébullition le pouvoir algérien.
Peu après leur atterrissage à Paris le 18 novembre, l’écrivain et son épouse ont été reçus à l’Élysée par le président de la République. Dans un communiqué publié quelques heures plus tard depuis Berlin (il participait à un sommet sur la souveraineté numérique européenne), Emmanuel Macron a salué « en particulier l’engagement » du président allemand Frank-Walter Steinmeier, « dont la mission de bons offices a été déterminante », ainsi que « la décision prise par le président Abdelmadjid Tebboune d’accorder sa grâce ». Mais une grâce présidentielle n’est pas un non-lieu, ni une relaxe, ni un acquittement.
« Je tiens à ce que la France soit respectée et à ce qu’elle mène un dialogue sérieux, calme et exigeant », a déclaré le président français dans une conférence de presse tenue toujours à Berlin. « Mon souhait, a-t-il poursuivi, c’est que nous puissions avancer pour être plus efficaces sur les grandes questions économiques, sécuritaires et migratoires ». Pas question, donc, d’élever la voix contre l’Algérie, qui tient toujours en otage le journaliste sportif français Christophe Gleizes, condamné à sept ans de prison en juin dernier pour « apologie du terrorisme », et dont le jugement en appel est prévu pour le 3 décembre . « Nous souhaitons ardemment [sa] libération. Nous y travaillons », a assuré la présidence de la République.
« Pourquoi le retour en France de Boualem Sansal a-t-il été si discret ? » s’interroge Le Parisien (18/11/2025) : « Pas de son, pas de caméras télé sur le tarmac de l’aéroport : c’est dans une certaine discrétion que l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal est rentré ce mardi 18 novembre en France… » La réserve de l’écrivain, dont le courage personnel a été maintes fois démontré, s’explique largement par l’incertitude sur le sort de Christophe Gleizes. Quant à la diplomatie française, elle ne pouvait guère pavoiser après l’humiliant épisode berlinois. Et maintenant, que fait-on avec Alger ? « On efface tout et on recommence ? » demande Xavier Driencourt, ex-ambassadeur de France en Algérie, interviewé par Le JDD (18/11/2025, en lien ci-dessous).