Le peintre Jackson Pollock (1912-1956) est une figure centrale de l’expressionnisme abstrait. Mondialement connu de son vivant, l’artiste utilisait notamment la technique du dripping (ou «égouttage» en français), qui consiste à laisser couler de la peinture sur une toile, ou à éclabousser celle-ci de plusieurs couleurs différentes. Une technique dont les détracteurs affirment qu’elle peut être maîtrisée par «n’importe quel enfant».

Dans une étude récente, publiée dans la revue Frontiers in Physics et rapportée par le média Ars Technica, sept chercheurs ont justement mené une analyse de peintures par éclaboussures réalisées par des adultes et des jeunes enfants. Ils les ont ensuite comparées à celles de Jackson Pollock, ce qui a permis de révéler que les œuvres des enfants présentaient une ressemblance plus marquée avec celles de l’artiste. Un résultat qui s’expliquerait par une certaine maladresse en matière d’équilibre, liée à la physiologie du peintre.

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Richard Taylor, physicien à l’Université de l’Oregon et co-auteur de l’étude, a été le premier à déceler des motifs fractals dans les coulures apparemment aléatoires de Jackson Pollock, en 2001. (À noter qu’une figure fractale renvoie à un objet mathématique qui présente la même structure à toutes les échelles, comme… le chou romanesco.) Le chercheur avait alors utilisé cette analyse fractale pour essayer de distinguer des œuvres de Jackson Pollock et des reproductions –c’est cette même technique qui a été utilisée pour la nouvelle étude comparative avec des enfants.

À l’époque, Richard Taylor avait été particulièrement critiqué pour sa tentative d’utiliser l’analyse fractale comme base d’un outil d’authentification permettant de distinguer les véritables Pollock des contrefaçons. Le chercheur concède qu’une grande partie de ces critiques était fondée, mais pour se justifier, il cite une étude de 2015 basée sur l’apprentissage automatique et s’appuyant, entre autres, sur la dimension fractale, qui a atteint un taux de précision de 93% pour distinguer les véritables Pollock des contrefaçons.

L’art du (dés)équilibre

Richard Taylor n’est d’ailleurs pas le premier scientifique à déceler des phénomènes physiques sous-jacents aux chefs-d’œuvre de Jackson Pollock. Le peintre se serait donc très certainement appuyé sur les principes de la physique pour réaliser ses œuvres, consciemment ou non. Il jouait avec la texture et la viscosité de ses peintures, ajoutant souvent des solvants pour les épaissir ou les fluidifier. Une vidéo de 1950 le montre d’ailleurs au travail, affirmant: «Je contrôle le flux de la peinture. Rien n’est dû au hasard.»

La technique du dripping de Pollock consistait à poser une toile à plat sur le sol et à y verser de la peinture. L’artiste se déplaçait alors généralement de façon «rythmique» autour de la toile pendant qu’il travaillait. «Les ouvrages de vulgarisation décrivent ainsi Pollock comme un gracieux danseur de ballet, explique Richard Taylor. Mais en réalité, Pollock était réputé au contraire pour sa maladresse.»

D’autres artistes célèbres ont d’ailleurs dû composer avec des limites physiques qui ont influencé leur œuvre, comme Claude Monet, Vincent van Gogh ou Willem de Kooning. «J’ai toujours été fasciné par le fait que de grandes œuvres d’art puissent naître de ce qui, au quotidien, serait une limite», analyse Richard Taylor. C’est ainsi que le chercheur en est venu à se demander si le manque d’équilibre de Jackson Pollock n’était pas la clé de son processus créatif et la raison pour laquelle les enfants l’imitent mieux que les adultes.

«Quand on regarde des photos de Pollock, on voit qu’il se penchait plus que nécessaire, conclut Richard Taylor. Il n’était donc clairement pas victime de sa physiologie, il la sollicitait pour produire cet effet de fluidité fractale. Il n’en avait certainement pas conscience, mais il percevait la magie lorsqu’il trouvait cet équilibre parfait.»