Interstellar a sans doute beaucoup contribué à accroître, dans le grand public, l’intérêt pour les trous noirs et, plus généralement, la physique d’Einstein concernant les espaces-temps courbes et les multiples phénomènes qu’elle implique – dont on ne sait pas encore s’ils sont tous réels, comme les trous de ver et les trous noirs primordiaux.
Les bases de la théorie des trous noirs en relativité générale ont été posées dès la fin des années 1930 avec les travaux d’Oppenheimer et ses élèves, mais c’est au cours des années 1960 que le concept va vraiment prendre forme et se doter du nom que l’on connaît désormais. Très rapidement, dès les années 1970, les trous noirs sont déjà dans la science-fiction et, fréquemment, les héros sont confrontés à une menace mortelle avec eux. Le plus souvent, il s’agit d’un trou noir stellaire menaçant d’avaler lors d’une collision la Terre ou des humains, comme on peut le voir dans l’une des séries mythiques de la génération X à savoir : Cosmos 1999.
En 1975, les trous noirs sont déjà dans les productions de la science-fiction. © Group Three Productions
Les trous noirs primordiaux
Mais en fait, à ce moment-là, plusieurs cosmologistes – dont Yakov Zeldovitch en Russie et Stephen Hawking en Angleterre – n’étudient pas seulement la théorie de trous noirs formés par l’effondrement gravitationnel d’étoiles massives ayant épuisé leur carburant thermonucléaire, ou encore des trous noirs supermassifs derrière la formidable luminosité des quasars, ils s’intéressent aussi à tout un spectre possible, en taille et en masse, de trous noirs primordiaux du Big Bang.
Pour comprendre de quoi il s’agit, rappelons qu’un trou noir se forme chaque fois que pour une masse donnée, celle-ci est comprimée et se retrouve dans une région dont la taille est définie par cette même masse, et que l’on peut considérer comme entourée d’une sphère dont la surface se comporte comme une membrane que l’on ne peut traverser que dans un seul sens : l’horizon des événements. Il faudrait en effet pouvoir dépasser la vitesse de la lumière pour quitter cette sphère et échapper au trou noir formé.
Or, il se trouve que pendant le Big Bang et en fonction des théories décrivant, disons le premier milliardième de seconde, des fluctuations de densité dans le contenu de l’Univers observable ont pu faire naître des trous noirs de presque toutes les tailles, et notamment une population de minitrous noirs qui pourraient, par exemple, avoir la masse d’une pomme ou celle d’une petite montagne.
Il n’y a pas de théorie établie sur la quantité et la répartition en masse de ces objets. On les cherche parce qu’ils pourraient notamment constituer une partie de la matière noire non négligeable. Ils pourraient se signaler par des effets de lentille gravitationnelle ou de puissantes émissions transitoires de rayon gamma, si le processus d’évaporation des trous noirs par effet Hawking existe bel et bien. On peut les chercher aussi avec le James-Webb.
Rappelons au passage que le Soleil pourrait devenir ce que certains ont baptisé une étoile de Hawking en absorbant un trou noir primordial !
Supposons maintenant que la matière noire est bien constituée de minitrous noirs. On peut se demander ce qui se passerait si l’un d’entre eux entrait en collision avec la Terre ou traversait notre corps.
C’est à cette dernière question que Robert Scherrer, professeur de physique et d’astronomie à l’université Vanderbilt aux États-Unis, a consacré une partie de ses travaux. Il a apporté quelques éléments de réponse dans un article publié dans International Journal of Modern Physics D et dont une version en accès libre existe aussi sur arXiv.
Dans un communiqué de l’université Vanderbilt, Robert Scherrer explique que l’une des origines de son article est une étude menée en collaboration avec Jagjit Singh Sidhu et Glenn Starkman de l’université Case Western Reserve, qui portait sur une nouvelle théorie dite de la matière noire macroscopique (Macro).
Un travail inspiré par les théories de la matière noire
La théorie elle-même peut être vue comme une extension d’une vieille idée avancée dès le début des années 1980 pour expliquer l’existence de la matière noire à partir d’amas de quarks (les constituants des nucléons des noyaux), en particulier dans les travaux datant de 1984 d’Edward Witten – le grand théoricien des supercordes et lauréat de la médaille Fields en mathématique – qui ont conduit à postuler l’existence de pépites de quarks (quark nuggets, en anglais) ou encore des strangelets.
En l’occurrence, il s’agissait d’amas de très nombreux quarks formés d’un tiers de quarks u, d’un autre de quarks d et enfin d’un dernier tiers de quarks étranges s, qui là aussi seraient stables, mais positivement chargés et devraient donc s’entourer, par exemple, d’électrons pour être neutres.
Witten pensait également que d’importantes quantités de strangelets pouvaient avoir été créées au tout début de l’histoire de l’Univers observable. Elles seraient des vestiges de la transition de phase ayant fait passer le quagma – le plasma de quarks et de gluons libres – à des gouttes de liquide hadronique, c’est-à-dire les protons et les neutrons, lorsque l’Univers s’est suffisamment refroidi au moment du Big Bang.
Dans le cas présent, il s’agirait donc de paquets de matière noire, formés là aussi de particules fondamentales, mais donc de grandes tailles. Scherrer et ses collègues s’étaient rendu compte que de tels objets, suffisamment massifs dans cette vaste catégorie de matière noire hypothétique composée de particules de grande taille, pourraient causer des dommages au corps humain.
« Je savais que je pouvais transposer certains de ces calculs à l’étude des trous noirs primordiaux. Les récentes observations du rayonnement gravitationnel issu de la fusion de trous noirs, ainsi que les nouvelles images de ces derniers, ont ravivé l’intérêt pour ce sujet. De plus, je me souvenais d’une nouvelle de science-fiction des années 1970 où un personnage mourait après avoir été traversé par un trou noir ; je voulais vérifier si cela était possible », explique Robert Scherrer dans le communiqué.
Le chercheur s’est rapidement rendu compte que le danger était double.
Des ondes de choc et des forces de marée mortelles ?
Il y a d’abord celui des ondes de choc supersoniques, comme celle produite par des projectiles à grande vitesse (un peu comme les bangs supersoniques des avions). Ces ondes accompagnant le passage d’un minitrou noir à travers un corps humain provoquerait des dégâts équivalents à ceux de balles.
Il y a ensuite le danger des forces de marée propre à un minitrou noir, qui étireraient la matière environnante fortement, tout comme la Lune déforme nos océans. Avec un minitrou noir suffisamment massif, ces forces seraient colossales et déchireraient les cellules humaines, les cellules du cerveau étant les plus sensibles.
En fait, le danger ne serait réel d’abord que si ces objets compacts ont une masse supérieure à 1,4×1017g, soit plus de cent gigatonnes.
Toutefois, les limites sur l’existence de minitrous noirs aussi lourds, leurs densités dans le cosmos observable et donc les chances de collisions, sont telles qu’elles permettent à Robert Scherrer d’arriver aux conclusions suivantes en fin du communiqué de l’université Vanderbilt :
« Les trous noirs primordiaux sont théoriquement possibles, mais ils n’existent peut-être même pas. Un trou noir primordial suffisamment massif, de la taille d’un astéroïde ou plus, pourrait causer des blessures graves, voire mortelles, s’il vous traversait. Son impact serait comparable à celui d’un coup de feu. Un trou noir primordial plus petit pourrait vous traverser sans que vous vous en aperceviez. Cependant, la densité de ces trous noirs est si faible qu’une telle rencontre est pratiquement impossible. »