Le cartel résume l’histoire rocambolesque, au bas de l’œuvre. « Le 3 mars 1971, un homme dérobe au musée trois peintures dont ‘’Le Rabbin. » Les deux autres sont aussi des Rembrandt : « La Descente de la croix » et le « Portrait de Jean Six ». Toutes des acquisitions du peintre et collectionneur Léon Bonnat, exposées dans l’antre local des Beaux-Arts…

Le cartel résume l’histoire rocambolesque, au bas de l’œuvre. « Le 3 mars 1971, un homme dérobe au musée trois peintures dont ‘’Le Rabbin. » Les deux autres sont aussi des Rembrandt : « La Descente de la croix » et le « Portrait de Jean Six ». Toutes des acquisitions du peintre et collectionneur Léon Bonnat, exposées dans l’antre local des Beaux-Arts.

Les archives de l’époque abondent de détails sur le cambriolage. Ce matin-là, le gardien s’est fait porter pâle. Le voleur entre avec un billet dûment acquitté, 2 francs. Dans son livre « Le musée Bonnat-Helleu, un vrai roman » (1), Dominique de Saint-Pern dépeint « un type vêtu d’un manteau ample, lunettes fumées, gants ». Il ressortira en marchant. Le surveillant reprend du service l’après-midi, ronde de routine et vertige devant le vide : trois œuvres manquent à la galerie du premier étage. Le conservateur, Paul Bazé, se précipite. Il trouve les cadres des Rembrandt dissimulés sous une banquette. La plus grosse des peintures ne mesure que 34 centimètres par 24, le Lupin de Bonnat a séparé les toiles de leur châssis pour les rouler sous sa gabardine.

Révolver dans la poche

Qui a fait le coup ? Dans « Sud Ouest », Pierre Paret nomme Jacques Périer, artiste peintre originaire de Biarritz interpellé le 12 juillet par la police. « On saura plus tard que l’homme, avant d’entrer au musée, avait avalé trois calvas dans un bistrot du quartier », écrit le journaliste. Périer niera le fric-frac, mais son complice dans cette affaire l’accusera. Un certain Michael Jurgen Kloetzke, dit « Mike », ressortissant allemand rencontré par l’entremise d’une mystérieuse danseuse. Ce dernier est-il le cave « amateur de bière et de marijuana » décrit par Dominique de Saint-Pern ? Ou le trafiquant international qui fera bientôt sa place parmi la pègre canadienne ?

C’est lui qui récupère les tableaux. Il aurait tenté en vain de monnayer leur restitution auprès de la direction des Musées de France. Le jour où son camarade se fait pincer, Michael Jurgen Kloetzke a traversé la frontière jusqu’à Francfort où il entre en contact sous le pseudonyme James Edward Paulsen avec la rédaction du « Bild Zeitung ». « Herr Paulsen » détient quelque chose qui peut intéresser le journal à scandale extrêmement populaire outre-Rhin…

L’un d’eux a demandé à Paulsen ce qu’il ferait s’ils alertaient la police. Sans perdre son calme, l’homme sortit un revolver de sa poche et le posa devant eux

Pierre Paret raconte une nouvelle scène de polar. Sur un parking, le malfrat ouvre le coffre de sa voiture sur deux Rembrandt devant les journalistes. « L’un d’eux a demandé à Paulsen ce qu’il ferait s’ils alertaient la police. Sans perdre son calme, l’homme sortit un revolver de sa poche et le posa devant eux. » Michael Jurgen Kloetzke, alias James Edward Paulsen, aurait voulu vendre le nom du voleur à la presse. Les journalistes veulent des photos pour attester les faits. C’est ce qu’ils prétextent pour un nouveau rendez-vous le lendemain, à 11 h 30, où la « polizei » cerne le receleur.

Évasion

Les agents sauvent deux Rembrandt « bayonnais » : « La Descente de la croix » et le « Portrait de Jean Six ». Bientôt, Paul Bazé les raccrochera aux cimaises du musée Bonnat. Mais « Le Rabbin », lui, ne refait pas surface. L’aigrefin l’a planqué sous la terre d’un jardin amstellodamois. Le petit tableau évalué à 1 million de francs voyagera par les canaux occultes du banditisme international jusqu’aux États-Unis.

Ici, les récits diffèrent. « Sud Ouest » narre le transfert en France de Michael Jurgen Kloetzke. Les enquêteurs du commissariat de Bayonne veulent l’interroger. Sur le chemin retour vers l’Allemagne, à Orly, le suspect se fait la belle. Avant de se rendre, selon la relation de l’épisode par Pierre Paret. Quarante ans plus tard, pas de reddition dans le récit du musée Bonnat-Helleu, qui envoie « Mike » en cavale à Vancouver. C’est là que des « confrères » lui auraient à leur tour dérobé « Le Rabbin ».

Corruption

Juin 1977, conférence de presse du FBI à Buffalo. Le « bureau » annonce un joli coup de filet dans la mafia sicilienne de la ville frontalière avec le Canada. Écoutes, filatures, infiltrations : la totale. Vingt-trois interpellations et du beau linge, sur fond de corruption. Richard Sacco, cadre de la police régionale va tomber. L’affaire éclabousse James Arcadi, leader de la majorité démocrate de Buffalo. Le substitut du procureur fédéral, Richard Mancuso, est mouillé. Ils protégeaient les petites affaires de la pègre.

Le juge lui a demandé comment il savait que ‘‘Le Rabbin’’ était bien le tableau volé à Bayonne. Mon père a répondu : ‘‘C’est comme votre femme’’…

Elle tenait boutique, au sens propre. « Chez l’un des meilleurs antiquaires de Buffalo », rapporte la presse. Le FBI envoie un repenti se porter acquéreur d’œuvres volées et ferre trois gros poissons : John A. Sartori, John J. Gandolfo, et Gennarino Fasolino seront condamnés pour « complot et trafic de marchandises volées et transport interétatique ». Il est ici question du « Rabbin », atterri dans l’officine parmi un butin évalué à 500 000 dollars. Dont 200 000 pour le seul Rembrandt.

Yves Bazé, le fil de Paul, se souvient du voyage de son père à Buffalo. Les enquêteurs américains veulent que le conservateur authentifie l’œuvre. « Il a été appelé au procès de cette affaire. Le juge lui a demandé comment il savait que ‘‘Le Rabbin’’ était bien le tableau volé à Bayonne. Mon père a répondu : ‘‘C’est comme votre femme… » C’était une boutade, mais elle a porté. Mon père l’avait reconnu d’emblée. » Paul Bazé et le directeur régional du FBI ont sympathisé et longtemps entretenu une correspondance. « J’ai encore des lettres de cette époque. »

Marque Rembrandt

« Le Rabbin » tient sa place dans le parcours permanent du musée Bonnat-Helleu, qui rouvrira jeudi 27 novembre, après 15 ans de travaux. Devant le petit carré aux tons d’ocres, le directeur de l’institution Barthélémy Etchegoyen-Glama montre la patte Rembrandt. « Regardez la lumière qui vient sur le front du sujet. Ce dépôt de peinture, cette épaisseur est caractéristique. » Le « Rembrandt comity », autorité néerlandaise qui délivre toute attestation de « rembrandité », l’attribue au peintre. «’’Attribué à Rembrandt’’, c’est le stade avant la signature Rembrandt (2). Cela veut dire qu’il a encore un débat sur la contribution du maître. » Jusqu’où y a-t-il mis la main ?

Le Comité s’est intéressé à ce tableau parce qu’il a été volé. Et il a été volé pour sa valeur en tant que Rembrandt

Barthélémy Etchegoyen-Glama relève cette ironie : « Le Comité s’est intéressé à ce tableau parce qu’il a été volé. Et il a été volé pour sa valeur en tant que Rembrandt. Bonnat lui-même l’a acheté parce que Rembrandt. Toute cette histoire parle de la marque Rembrandt. » Et de la construction d’une économie.