Shein n’est pas tiré d’affaire. La plateforme asiatique à la réputation sulfureuse est dans la tourmente depuis qu’elle a ouvert son premier magasin physique en France, début novembre. Une installation qui a coïncidé avec la découverte sur son site de poupées sexuelles d’apparence enfantine et d’armes de catégorie A. « Shein a dépassé les bornes », constate le ministère de l’Économie. Face au scandale, le gouvernement a décidé de sévir : il a engagé plusieurs procédures pour suspendre le site en France. L’une d’entre elles prend la forme d’une assignation devant un juge des référés. L’audience se tient ce mercredi matin.
Saisi en vertu de l’article 6-3 de la loi LCEN (la loi pour la confiance dans l’économie numérique), ce juge devra statuer s’il y a lieu de « prévenir ou faire cesser un dommage » occasionné par Shein. L’État compte sur le « caractère systémique » des manquements du site d’e-commerce pour obtenir sa suspension pour une durée de trois mois – avant une réouverture conditionnée au contrôle de l’Arcom. Mais « il est probable que ça ne se passe pas aussi facilement », avance Éric Barbry, avocat en droit du numérique, car Shein a déjà suspendu sa marketplace en France : les autorités ont même reconnu que la plateforme ne proposait plus de produit illicite depuis qu’elle en a exclu les vendeurs tiers. Ce gage, donné par la société en pleine polémique, peut être interprété comme « un aveu de l’absence de contrôle », argue cependant Bercy.
Le juge peut prendre la mesure de son choix
Que se passera-t-il concrètement, si le juge donne raison à l’État ? « Le champ des possibles est extrêmement large », explique Me Barbry, car il « peut prendre toutes les mesures » qu’il estime nécessaire. Un blocage de Shein par les opérateurs (même s’il peut être contourné via un VPN) ou un système d’astreinte pour contraindre Shein à respecter les règles en vigueur « peut être efficace », selon l’avocat, même s’il doute que le juge aille si loin. La décision de ce dernier n’est pas attendue avant plusieurs jours, et pourra faire l’objet d’un appel.
L’audience de ce mercredi n’est qu’« une étape dans le cadre d’un travail de fond », glisse Bercy. Et le ministère de rappeler qu’il a « déployé un arsenal » pour faire plier les plateformes qui vendent des produits illicites. Hormis Shein, six autres plateformes (dont Amazon) ont été signalées à la justice et cinq d’entre elles (AliExpress, Joom, Temu, Wish, eBay) font l’objet d’enquêtes judiciaires. Le gouvernement entend aussi se battre sur le volet administratif – via lequel il peut obtenir un déréférencement, une restriction d’accès ou un blocage en cas d’infraction. C’est par ce biais que Wish avait été déréférencé entre fin 2021 et début 2023… Sans que cela permette visiblement de régler le problème.
Une procédure européenne trop lente ?
Pour être la plus forte possible, la régulation des plateformes d’e-commerce doit en fait intervenir à l’échelon communautaire. De ce point de vue, Bercy se félicite d’avoir permis « un réveil des consciences » dans l’Union européenne, notamment sur la question de la taxation des petits colis – qui devrait intervenir deux ans plus tôt que prévu. La France pousse désormais pour une activation plus rapide et facile du DSA (Digital Services Act), qui prévoit des sanctions pouvant aller jusqu’à 6 % du chiffre d’affaires mondial d’une plateforme. Et pour cause : les procédures lancées tardent à produire leurs effets. Le sort d’AliExpress, formellement mise en cause en juin dernier, n’a par exemple toujours pas été tranché.
Ce mercredi, les eurodéputés devraient voter une résolution – non contraignante – demandant à la Commission de durcir sa réponse. Un texte similaire a été déposé à l’Assemblée nationale, où les dirigeants de Shein seront par ailleurs auditionnés le 2 décembre. Dans tous les cas, cette levée de boucliers ne sera pas suffisante, selon Éric Barbry : « Aujourd’hui, le juge peut demander des mesures de suppression, mais pas des mesures de maintien de la suppression. » L’état du droit français et européen nous permet seulement de « courir après les plateformes et c’est épuisant », souffle-t-il.