Par

Clément Mazella

Publié le

25 nov. 2025 à 20h02

S’il est un poste où le rugby français regorge de talents, c’est bien chez les centres. Problème : à moins de deux ans de la Coupe du monde en Australie, aucune paire ne s’est encore affirmée, au point d’être considérée comme indiscutable. Ancien centre du XV de France, Damien Traille (86 sélections) s’est confié auprès d’Actu Rugby sur cette situation, sur les performances individuelles des centres alignés durant la tournée d’automne, l’avenir de Gaël Fickou, tout en définissant le duo de centres qu’il alignerait pour le début du Tournoi des 6 Nations 2026. 

Actu : Entre le Tournoi des 6 Nations et la tournée de novembre, Fabien Galthié a utilisé 5 paires de centres différentes en 8 matchs en 2025. Est-ce inquiétant pour vous à deux ans de la Coupe du monde en Australie que la paire n°1 ne soit pas encore définie ?

Damien Traille : Oui et non. Oui, car on nous rabâche sans cesse qu’il n’y a pas assez de temps pour travailler, et qu’on a besoin d’automatismes. Et ces derniers, ils ne se trouvent qu’en jouant souvent ensemble. Mais pour moi, c’est un faux problème. Si Fabien a aligné 5 paires de centres différentes, c’est que le vivier français est riche. Nous avons des jeunes talentueux, et qui apportent tous une plus value quand ils jouent. Le staff multiplie les combinaisons pour trouver celle qui pourra apporter un plus à cette équipe. La problématique, c’est qu’on ne peut pas en mettre une, puis la changer, puis encore la modifier. Pour les automatismes entre elle, mais aussi le lien avec le n°10 et les ailiers. C’est tout un ensemble.

S’il y a eu autant de paires différentes, c’est aussi dû au fait que le staff tricolore a été confronté aux blessures (Moefana, Barassi)…

D.T : Ce n’est pas propre qu’à la France. C’est le lot de toutes les nations.

Peut-être. Mais les grandes nations ont leurs 2-3 centres principaux identifiés, et s’appuient dessus. En France, c’est moins vrai. N’est-ce pas dû à trop de matchs à jouer dans une saison ?

D.T : Je n’ai pas l’envie de rentrer dans ce débat. Mais les joueurs n’ont jamais autant été à disposition du XV de France. Après, je comprends le staff qui aimerait avoir les joueurs encore plus souvent et longtemps. Les joueurs, eux, appartiennent aux clubs. Prenez le cas de l’Argentin Juan Cruz Mallia : nous sommes fin novembre, il a beaucoup joué avec sa sélection et seulement deux matchs avec son club. Et je n’oublie pas que tous les staffs de Top 14 jouent bien le jeu vis-à-vis de l’équipe de France.

XV de France : les performances individuelles des centres

Fickou, Barassi, Gourgues et Depoortère ont chacun évolué au centre durant cette tournée d’automne : lequel vous a le plus convaincu ?

D.T : Celui qui a tiré son épingle du jeu, c’est Depoortère. Incontestablement. Barassi, le problème, c’est qu’il se blesse au début du deuxième match (Fidji, NDLR). Gourgues, lui, fait une entrée remarquée contre l’Australie. J’ai l’impression qu’il prend le chemin des Depoortère ou Gailleton qui ont performé très vite en Top 14 et ont fait des bons débuts en Bleus. Quand j’y pense, ça nous fait pléthore de centres de haut niveau pour les Bleus. Maintenant, il faut en aligner deux. Sachant que je ne veux pas oublier un Fabien Brau-Boirie à Pau qui a une grosse maturité à son âge. Ou un Paul Costes qui a du talent aussi.

Mais d’avoir autant de talents sur le plan quantitatif, cela ne va-t-il pas finalement compliquer la tâche du staff afin de faire son choix ?

D.T : Il vaut mieux avoir mal à la tête comme ça que de ne pas avoir des mecs talentueux à disposition et bricoler. Après, c’est sûr qu’il va falloir cibler, car Fabien ne partira pas avec 6 centres à la Coupe du monde en Australie. La polyvalence d’un Gailleton peut constituer un atout. Il faut se rappeler aussi que Yoram Moefana, que je vois comme un élément important du groupe, va aussi faire son retour.

Les centres tricolores n’ont pas été forcément dominants sur cette tournée. Cela n’a-t-il pas mis encore plus en lumière le rôle indispensable d’un Yoram Moefana au profil totalement différent des autres centres français que l’on évoque ?

D.T : Déjà, on ne peut pas mettre l’inefficacité du jeu du XV de France sur cette tournée que sur les épaules des centres. Mais on voit qu’aujourd’hui, c’est une grosse rampe de lancement des grosses nations, comme l’Afrique du Sud, qui utilise beaucoup le centre du terrain. J’ai eu la sensation qu’au centre, nous manquions un peu de vitesse et de puissance. Moefana est puissant, ça aide.

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Le XV de France aura droit à un menu copieux pour ces tests de novembre 2025.
Damien Traille n’est pas sûr qu’il faille miser sur Gaël Fickou jusqu’à la Coupe du monde 2027 en Australie. (©Icon Sport)

Celui dont vous ne parlez pas, c’est Gaël Fickou. Jamais blessé, toujours présent, mais malgré tout moins saignant. Tout en saluant sa longévité (98 sélections), faut-il continuer avec lui vu la richesse du vivier au centre dans l’optique du Mondial 2027 ?

D.T : C’est la question que tout le monde se pose je pense. C’est sûr, Gaël c’est l’expérience. Fabien le garde aussi de par ce rôle-là, son vécu. Mais quand tu commences à vieillir, j’en suis passé par là, tu es moins efficace. Je souhaite vraiment à Gaël d’avoir deux sélections de plus pour rentrer dans le cercle fermé des centurions. Mais Gaël est-il l’avenir pour 2027 vu les joueurs que nous avons : je n’en suis pas sûr.

Le jeune Gourgues a électrisé le public du Stade de France avec son entrée remarquée contre l’Australie. Bâtiriez-vous déjà quelque chose autour de lui pour 2027, ou est-ce trop précoce ? Et sinon, n’a-t-il pas un profil idéal pour figurer sur le banc vu sa grosse polyvalence 10-12-13-15 ?

D.T : Attention à ne pas tirer des leçons sur 10 minutes de match ! Il a saisi une occasion, tant mieux pour lui, mais attention. Ce qui est rassurant, c’est qu’après une saison dernière quasi blanche en raison de sa grave blessure, c’est le centre dont on entend le plus parler de par ses performances depuis le début de l’exercice. Pour moi, ce serait précoce de bâtir autour de lui pour 2027. Mais ça peut être un élément intéressant à voir durant le Tournoi pour voir sa valeur sur un match entier. C’est sûr que comme pour Gailleton, sa polyvalence peut être un élément vraiment important pour lui.

Quelle paire de centres pour le 6 Nations : le verdict de Traille

Si tout le monde est apte Damien, avec quelle paire de centres débuteriez-vous le prochain Tournoi des 6 Nations ?

D.T : (il siffle). Je mettrais un centre puncheur, et pour moi Yoram Moefana remplit le mieux cette tâche. Même si j’estime aussi que Nicolas Depoortère peut l’assumer. À côté, un centre avec de la vitesse. Lequel ? Pas simple. Après, tout dépend de l’adversaire. Et il y a quelque chose que je trouve qu’on ne parle pas trop, c’est d’avoir un centre avec un jeu au pied pertinent pour suppléer notre n°10. Dans ce cas, un gars comme Gourgues peut être intéressant.

C’est vrai que parmi tous nos centres, rares sont ceux qui ont un jeu au pied performant à haut niveau…

D.T : C’est vrai. Mais dans le jeu des Bleus, est-ce capital ? On voit des fois notre arrière venir suppléer notre n°10 sur certaines phases.

Verdict, donc ?

D.T : Moefana et un autre élément en fonction du style de jeu que l’on veut adopter. Après, je trouve que nous avons beaucoup de centres avec des profils similaires. Sinon, il y a Fabien Brau-Boirie dont on ne parle pas beaucoup car nous n’avons pas eu trop l’occasion de le voir à haut niveau, mais ce qu’il fait en club c’est fort. C’est quelqu’un de complet, capable de prendre le milieu de terrain et de faire vivre le ballon le ballon après contact. Il peut te faire un crochet, alors que tu penses qu’il va défier.

On parle d’automatismes : la logique ne serait-elle pas de miser sur Moefana-Depoortère, afin d’avoir une ligne 11-12-13-14 100% bordelaise ?

D.T : Peut-être bien. Peut-être bien, oui. On voit que quand on donne de bons ballons à Bielle-Biarrey, comme c’est le cas à Bordeaux, ça va souvent au bout. Après, si on part avec ce cas de figure-là, pourquoi ne pas ajouter une charnière Lucu-Jalibert ? Bon, il est vrai qu’Antoine (Dupont, NDLR) va revenir. Cela va apporter un plus à cette équipe. Et qui sait, d’ici là, une autre pépite sortira peut-être du chapeau (rires) !

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