Y a-t-il des agents russes à la Maison Blanche ? La question s’est régulièrement posée depuis l’entrée en politique de Donald Trump. L’homme d’affaires a souvent été accusé de collusion avec le régime de Vladimir Poutine. Une enquête avait même été menée, durant le premier mandat de Donald Trump (2017-2021). Le rapport final, rédigé par le procureur spécial Robert Mueller, avait mis en évidence des éléments troublants et plusieurs rencontres entre les entourages des deux chefs d’État, mais n’avait pu établir aucune preuve d’entente sur le dos des Américains.
Ces soupçons ont été relancés hier à la faveur de la révélation, par le média Bloomberg, d’une discussion entre deux membres des cercles rapprochés du pouvoir à Washington et à Moscou. Le mois dernier, le 14 octobre, l’émissaire américain Steve Witkoff, un proche de Donald Trump, s’est entretenu au téléphone avec Iouri Ouchakov, conseiller diplomatique du président russe.
Au cours de la discussion, on découvre un Witkoff sortant de son rôle de négociateur, qui devrait normalement œuvrer pour rapprocher les positions russes des demandes ukrainiennes. Au contraire : l’Américain semble particulièrement enclin à servir la cause russe et s’avance à conseiller son interlocuteur sur la meilleure façon de parler à Donald Trump, alors qu’une conversation entre Trump et Poutine était envisagée dans les 48 heures.
« Il faut féliciter le Président pour son accomplissement (NDLR : la paix au Moyen-Orient), dit Witkoff. Il faut dire que vous le soutenez, qu’il est un homme de paix et que vous êtes vraiment heureux de ce qui vient de se passer. J’ai dit au Président que la Russie a toujours voulu un accord de paix, et je le crois vraiment. (…) Dis ceci au Président Poutine, tu sais que j’ai le plus grand respect pour lui. Peut-être pourrait-il dire au Président Trump : Steve et Iouri ont parlé d’un plan en 20 points pour la paix. »
Une conversation qui a torpillé la visite de Zelensky ?
La conversation fait tache : dans le même temps, Donald Trump semblait durcir le ton publiquement contre Vladimir Poutine. Le président américain montrait un début d’exaspération concernant l’attitude de son homologue russe. Il était même allé jusqu’à évoquer une livraison de « Tomahawks », des missiles longue portée, à l’Ukraine. Volodymyr Zelensky était sur le point de se déplacer à la Maison Blanche. Pendant que le monde entier se demandait si l’Amérique avait fini par ouvrir les yeux sur la nature du régime de Vladimir Poutine, l’émissaire du Président, lui, faisait en sorte que la Russie vende au mieux ses intérêts à Washington, et qu’une conversation téléphonique soit arrangée entre Trump et Poutine la veille de la venue de Zelensky.
Le compte rendu de cette discussion entre les chefs d’État américain et russe confirme que la consigne a bien été passée : Vladimir Poutine a commencé par féliciter Donald Trump. Il a ensuite averti que la livraison de Tomahawks à l’Ukraine constituerait une escalade inacceptable. Les États-Unis n’ont jamais livré ces missiles.
Dans le verbatim de la conversation entre Witkoff et Ouchakov, on devine les bases du plan en 28 points rendu public la semaine. Est notamment évoquée la question des territoires. « Je sais ce qu’il faudra pour conclure un accord de paix : Donetsk et peut-être un échange de territoires quelque part », s’avance Witkoff, avant de tracer le chemin à emprunter pour y arriver : « Mais au lieu de parler comme ça, parlons de manière plus positive. Je crois vraiment qu’on va arriver. Je crois que le président va me donner beaucoup de latitude pour mener cette négociation. »
Les familles Witkoff et Trump liées en affaires
La Maison Blanche a voulu déminer l’affaire. Donald Trump a parlé « d’approche standard ». « C’est ce qu’un négociateur fait, a-t-il poursuivi. Il faut qu’il vende ce projet aux deux parties. J’imagine qu’il dit la même chose à l’Ukraine. » Beaucoup doutent que l’Ukraine bénéficie des mêmes traitements de faveur des émissaires américains…
D’ailleurs, nombreux sont ceux, y compris chez les Républicains, chez qui cette conversation n’est pas passée. Le Représentant Don Bacon (Nebraska, Républicain) n’y est pas allé de main morte : « Toute cette affaire est un fiasco et une tâche pour notre pays. Witkoff se comporte comme s’il était payé par la Russie. Il faut le virer. » Un autre élu républicain, Brian Fitzpatrick (Pennsylvanie), a quant à lui demandé que son pays revienne à une approche diplomatique plus traditionnelle : « Laissons le secrétaire d’État Marco Rubio faire son travail de manière juste et objective ; ceci est un problème majeur, ces mascarades ridicules et ces réunions secrètes doivent cesser. »
Steve Witkoff est un membre du premier cercle du locataire de la Maison Blanche. Les familles Trump et Witkoff sont notamment liées dans une entreprise de cryptomonnaies. Il n’est donc pas près d’être lâché : il se rendra d’ailleurs la semaine prochaine à Moscou, officiellement cette fois, pour y rencontrer Vladimir Poutine. « Peut-être avec Jared Kushner » (NDLR : le gendre de Donald Trump), a ajouté le président américain.
Une autre discussion, datée du 29 octobre, a été rendue publique par Bloomberg, cette fois entre deux figures russes : Iouri Ouchakov toujours, et Kirill Dmitriev, un négociateur officieux. « Je pense que nous allons faire ce papier à propos de notre position, et je vais le faire circuler de manière informelle, a déclaré Kirill Dmitriev à Ouchakov. Je ne pense pas qu’ils prendront exactement notre version mais au moins ce sera aussi proche que possible. » Révélé la semaine dernière, le plan en 28 points de la Maison Blanche ressemblait trait pour trait aux demandes russes.