Saisie par des parties civiles des attentats du 13 novembre à Paris et du 14 juillet à Nice sur la promenade des Anglais, la Cour de cassation rend vendredi un arrêt très attendu sur le périmètre d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme, aux conséquences financières potentiellement lourdes.
« Dans deux affaires d’attentats, la Cour de cassation devra dire si une personne dont la qualité de partie civile a été reconnue par la justice pénale doit nécessairement bénéficier de la procédure civile spécifique d’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme », explique la plus haute instance judiciaire française.
L’affaire a été examinée le 10 octobre en assemblée plénière, la formation la plus solennelle de la Cour de cassation, convoquée pour résoudre des points majeurs de jurisprudence.

Deux dossiers réévalués
À l’origine de cette épineuse question se trouve la dissonance entre des décisions de cour d’assises ayant à juger les dossiers d’attentats, et pouvant avoir une appréciation relativement large de la recevabilité des parties civiles, et celles du juge d’indemnisation des victimes d’attentats terroristes (Jivat), une juridiction spécialisée créée en 2019 par le législateur et qui applique des critères plus restrictifs.
Basé au tribunal judiciaire de Paris, le Jivat est le juge exclusivement compétent en France dans les litiges entre les personnes s’estimant victimes et le Fonds de garantie des victimes d’actes de terrorisme et autres infractions (FGTI), chargé de l’indemnisation financière du préjudice corporel dans ces circonstances.
La procédure devant la Cour de cassation procède du regroupement de deux dossiers distincts, dans lesquels le FGTI a refusé les demandes d’indemnisation de personnes pourtant reconnues comme victimes par la justice pénale.

Définir le statut de victime d’attentat
Dans le premier cas, la Cour de cassation est saisie du pourvoi d’une riveraine du Bataclan, la salle de concert parisienne visée par un commando jihadiste le 13 novembre 2015. Son immeuble en face du Bataclan, dans l’impasse mitoyenne, a été la cible de tirs des assaillants qui ont tué un habitant au premier étage.
La demandeuse, résidant au deuxième étage du bâtiment, a vu une partie de l’attaque depuis ses fenêtres mais n’a pas été touchée par des tirs, s’étant réfugiée dans sa salle de bains. Reçue comme partie civile par la cour d’assises du procès du 13-Novembre, elle a cependant été déboutée par le FGTI puis le Jivat de ses demandes de dédommagement au titre du dommage psychologique.
Dans le deuxième cas, la Cour est saisie par deux familles se trouvant à proximité, mais non au milieu, de l’attentat du 14 juillet 2016 à Nice, lorsqu’un Tunisien a lancé un camion dans la foule sur la célèbre promenade des Anglais, faisant 86 morts et des centaines de blessés.
Également reconnues comme parties civiles par la cour d’assises, ces familles, qui se trouvaient à près de 200 m au-delà du point où le camion a arrêté sa course meurtrière, ont aussi vu leurs demandes de dédommagement refusées par la juridiction spécialisée.
À l’audience du 10 octobre, le procureur général Rémy Heitz a plaidé pour le maintien de la « totale autonomie » du Jivat pour « préserver l’efficacité de notre dispositif ambitieux d’indemnisation ».
« La solution prônée par les demandeurs constituerait une atteinte importante à cette compétence exclusive dès lors qu’elle permettrait de fait de remettre indirectement en cause devant la juridiction pénale un refus d’indemnisation décidé par le FGTI », a souligné le plus haut procureur de France.
Au-delà de l’enjeu financier important – presque 1.500 parties civiles ont été reconnues au procès de l’attentat de Nice -, la décision de la Cour de cassation devrait amener à préciser la définition de victime, qui varie dans la jurisprudence.
