Poisson emblématique de Méditerranée, connue pour sa saveur et mystérieuse sur son mode de vie, la daurade royale révèle enfin quelques-uns de ses secrets. Dix ans d’observations et surtout d’écoutes démontrent sa connectivité entre leurs propres lagunes nourricières et les calanques marseillaises ou elles se reproduisent. Jérôme Bourgea, spécialiste en écologie marine à l’Ifremer de Sète a mené cette étude inédite, à partir de marqueurs acoustiques.

Appréciée des fins gourmets et des pêcheurs, la daurade royale, star des sparidés, se reconnaît facilement par son corps ovale aux flancs gris argenté et une sorte de bandeau doré cerné de noir entre ses grands yeux. Elle se nourrit essentiellement de mollusques et de crustacés, qu’elle broie avec sa puissante mâchoire. La daurade est aussi un poisson protandre, comprenez qu’il naît mâle, puis devient femelle vers l’âge de trois ans et peut alors pondre près d’un million d’œufs par an.

Au-delà de ces éléments, on ne savait pas grand-chose sur Sparus aurata, jusqu’à ce que Jérôme Bourgea, spécialiste en biologie de la conservation des pêches à l’Ifremer, précisément au sein de l’unité de recherche Marbec à Sète, s’intéresse de près à l’espèce. Après 15 ans passés dans l’océan Indien pour comprendre la mégafaune marine et notamment celle des tortues, ce scientifique se consacre depuis près de dix ans au cycle de vie des poissons côtiers (loups, muges et surtout daurade) dont on ne connaît pas avec exactitude les rituels et pour l’occasion les véritables stocks.

Invité par l’association des Amis du labo Arago de Banyuls-sur-Mer (présidée par A-M. Geneviève), Jérôme Bourgea a dévoilé le mode de vie des daurades royales.

Invité par l’association des Amis du labo Arago de Banyuls-sur-Mer (présidée par A-M. Geneviève), Jérôme Bourgea a dévoilé le mode de vie des daurades royales.
Vé. P.

Des lagunes aux calanques

« Une approche multidisciplinaire pour comprendre la connectivité temporelle et géographique était nécessaire » explique le scientifique qui met en place un réseau d’écoute sous-marin impressionnant, en partant du fait que les daurades sont fidèles à leur lagune (six sites sont dans cette étude) et qu’un jour simultanément, elles vont la quitter pour nager vers l’est et rejoindre le parc national des Calanques. Non moins de 200 hydrophones immergés, entre la Ciotat et les côtes catalanes jusqu’à Estatit (Espagne), vont ainsi enregistrer les déplacements de 414 daurades royales (pesant de 100 g à 6 kg) dotées d’un émetteur.

Deux millions de passages sont comptabilisés en 4 ans : « On découvre qu’en partant des Calanques pour rejoindre sa lagune, la daurade est âgée d’au moins 50 jours, on apprend aussi qu’elle est fidèle à sa lagune d’alimentation, que les migrations sont liées à l’état de cette lagune. On connaît désormais leurs couloirs migratoires qui ont des trajectoires définies, de Berre à Leucate elles vont longer la côte et voyager ensemble, c’est un comportement impressionnant ! »

À l’image du saumon sauvage, la daurade royale effectue sa migration entre "sa" lagune nourricière et les Calanques marseillaises pour sa reproduction.

À l’image du saumon sauvage, la daurade royale effectue sa migration entre « sa » lagune nourricière et les Calanques marseillaises pour sa reproduction.
Vé. P.

Les daurades luttent pour vivre

Toutes ces allées et venues enregistrées par la bioacoustique confirment bien que la daurade quitte son site d’alimentation pour les Calanques pour se reproduire. Elle y reste environ quatre mois, puis revient dans « sa » lagune pour s’alimenter, et malgré sa mobilité, évolue sur une petite zone de nourrissage.

Mais pour ça, « les royales » doivent d’abord éviter les hameçons qui les attendent en nombre, au moment de leur passage, une pêche officiellement interdite, mais pas toujours respectée ! Dans ce rituel, on sait aussi qu’elles ne pourront pas survivre au-delà de certains seuils : « La daurade meurt au-dessus d’une eau à 36 degrés et en dessous de 9 °C, elle entre dans la lagune lorsque l’eau est généralement entre 12 et 14 degrés, rappelle le chercheur. On constate que les changements climatiques qui modifient son garde-manger ont un impact sur son mode de vie, alors que la Méditerranée se réchauffe 20 % plus rapidement que les autres océans ».

L’étude de Jérôme Bourgea révèle aussi une exception : « Un tiers des daurades de Leucate partent vers l’Espagne, on a confirmation de leur passage vers Estatit et elles vont plus loin, on ne sait pas où, ni pourquoi, celles-ci choisissent d’aller vers l’ouest ? Mystère. »

Toutes ces données ne permettent pas pour autant d’avoir une connaissance précise des stocks. Si les scientifiques affirment notamment que « le Loup est en déclin », il est fort à parier que des mesures de protection vont se mettre en place pour réduire les prélèvements, en particulier entre les aires marines protégées. Pour Jérôme Bourgea : « Il faut une régulation performante qui s’appuie sur nos connaissances. La pression des pêcheurs de loisirs et plaisanciers est plus forte que celle des professionnels. Il faut éviter les conflits et suivre une approche cohérente, qui influence nos comportements pour assurer une exploitation durable, non seulement de la daurade royale, et de bien d’autres ressources marines dont les poissons côtiers ».