Que s’est-il passé dans cet ancien établissement privé de Gorges (Loire-Atlantique) entre les années 1950 et la fin des années 1990 ? Depuis les témoignages de dizaines de victimes du collège-lycée Saint-Stanislas de Nantes relayés depuis la fin du mois d’août, les établissements privés du département se font tout petits. Mais ils sont de plus en plus nombreux à être pointés du doigt par leurs anciens pensionnaires.

Nicolas se souvient de la réputation de l’internat des Angreviers avant même sa scolarisation. Au collège, l’adolescent n’est « pas très sage », « pas très sérieux » non plus. Rapidement, ses parents « brandissent la menace » des Angreviers, une sorte d’établissement punition où finissent les enfants turbulents. « Je n’y ai jamais cru, mais en 5e, c’était vraiment la catastrophe, mes parents ont fini par m’y envoyer », retrace-t-il du haut de ses 43 ans, « tout allait bien à la maison, ils ne pouvaient pas savoir ce qu’il se passerait à l’internat ».

« C’était leur façon de procéder »

Scolarisé entre 1995 et 1998, Nicolas dénonce aujourd’hui « les coups de pied aux fesses » et « les grandes claques » reçues de la part des surveillants au cours de ses années collège. « C’était leur façon de procéder à l’époque », relate la présumée victime, « on se prenait tous des roustes et on considérait que c’était justifié car nous n’avions pas le comportement adéquat ».

Denis, membre du collectif des victimes de Saint-Stanislas s’est entretenu avec les victimes de plusieurs établissements privés de Loire-Atlantique. Il analyse le caractère particulier des Angreviers. « Il s’agit d’un établissement où se sont réfugiés les élèves des écoles centrales de Nantes après les bombardements* », retrace-t-il. Après la guerre, les élèves du centre de Nantes ont de nouveau été scolarisés dans des écoles nantaises. « Ne restent alors aux Angreviers que les orphelins ou enfants issus de familles compliquées, détaille le membre du collectif, l’établissement s’est transformé en école pour exclus ».

Un contexte qui aurait favorisé la violence physique à l’égard des mineurs. C’est du moins ce que constatent conjointement les présumées victimes, dont Pierre, 38 ans. « Petit, je faisais beaucoup de bêtises, c’est parfois dans ce contexte que la violence apparaît, les surveillants nous éduquaient par les coups. »

Derrière la violence physique, la violence psychologique et sexuelle

Interne à la fin des années 1990, Pierre se souvient des heures passées sous la pluie « en pyjama ». Il raconte: « Des élèves plus grands s’amusaient à déclencher l’alarme incendie dans la nuit, pour les punir, les surveillants nous faisaient tous sortir dehors. » Dans ce genre de situation, pas question de pleurer, « ce qui était malheureusement mon genre, se remémore l’ancien élève, plus je pleurais, plus on me mettait des coups ». Pierre se souvient d’un surveillant en particulier : « On le surnommait Mickey, c’était surtout le soir qu’il me frappait. »

Olivier** a également retenu son attention. Le surveillant « avait une tablette en bois sur laquelle il écrivait. Je l’ai vu demander à des camarades de s’abaisser pour pouvoir écrire en posant la tablette sur leurs dos. Il en profitait pour coller son sexe contre leurs fesses ».

Cette violence sexuelle, ni Pierre ni Nicolas n’en ont été victimes. « Il y avait cependant cette légende urbaine qui circulait dans les couloirs, précise Nicolas. On disait qu’un élève avait surpris un professeur violer un autre élève dans son bureau ». « Ce n’est pas une légende urbaine, insiste Denis. Cet élève a fini par mettre fin à ses jours il y a quelques années. » Un lien de cause à effet difficilement vérifiable aujourd’hui.

Porter plainte ?

« Il y a bien eu des violences sexuelles de la part d’un professeur laïc entre les années 1980 et 1990, continue Denis. Dans les années 1960 et 1970, ce sont surtout les religieux qui sont accusés ». Celui qui passe son temps à fouiller dans les archives diocésaines note les faits suivants : « En 1979, un élève a été exclu pour avoir tabassé un professeur qui lui a mis une main aux fesses. »

Selon un rapport publié en début de mois par Be Brave -mouvement de défense des enfants victimes d’actes pédocriminels- au sein de l’Union européenne, les enfants victimes prennent la parole à 52 ans en moyenne. « Les premiers témoignages recueillis sur notre page Facebook concernent des hommes qui ont majoritairement entre 40 et 45 ans », analyse Denis. Une moyenne qui questionne la possibilité d’une action judiciaire. Si les violences physiques sont prescrites, une victime d’agression sexuelle mineure au moment des faits peut porter plainte dans un délai de vingt ans à compter de leur majorité.

Agressés physiquement, Pierre et Nicolas ne savent pas encore s’ils feront appel à la justice. « Si je prends la parole, c’est avant tout pour aider d’autres victimes », lance Pierre.

25 établissements visés en Loire-Atlantique

Depuis lundi, une petite dizaine de victimes a rejoint le groupe Facebook dédié à regrouper leurs paroles. Sollicité par 20 Minutes, le directeur des Angreviers dans les années 1990 ne souhaite pas s’exprimer sur le sujet. En 2006, l’établissement a laissé place à un collège pour Les Apprentis d’Auteuil.

Au 22 novembre 2025, « le diocèse de Nantes reconnaît des abus et violences dans 14 établissements secondaires (dont Saint-Stanislas) et huit primaires », note le site Riposte Catholique qui confirme une information du collectif des victimes de Saint-Stanislas. « Nous avons eu connaissance de violences et abus dans trois établissements supplémentaires », ajoute Denis, portant à 25 le nombre d’établissements concernés.

*En septembre 1943, 1.500 Nantais ont perdu la vie dans des bombardements menés par des unités aériennes américaines.

**Le prénom a été modifié.