Incident rare, le 25 novembre 2025, au Palais de Carthage, le président Kaïs Saïed a convoqué l’ambassadeur de l’Union européenne en Tunisie, Giuseppe Perrone, pour lui faire part d’une « protestation vigoureuse » : selon la présidence, l’émissaire aurait commis des « violations des usages diplomatiques ». Un coup de froid diplomatique à propos de démarches « hors cadre » qui n’a pas manqué d’attirer l’attention des chancelleries occidentales.
Le cœur du mécontentement officiel porte sur plusieurs rencontres tenues en marge des cadres diplomatiques traditionnels — en particulier un entretien entre l’ambassadeur et le secrétaire général du principal syndicat tunisien UGTT, Noureddine Taboubi, mais pas uniquement. Perrone a aussi récemment rencontré le leadership de la centrale patronale UTICA (l’Union tunisienne de l’industrie, du commerce et de l’artisanat). Lors de cette rencontre, il a évoqué la volonté de l’UE de moderniser les accords commerciaux tuniso-européens. L’entretien a « réuni plusieurs membres du bureau exécutif national de l’UTICA » ainsi que des représentants de secteurs économiques, selon un compte rendu.

Une délégation européenne a présenté la réunion du lundi avec le chef de la Centrale syndicale comme une occasion de « valoriser le rôle de l’UGTT dans le soutien au dialogue social et au développement économique en Tunisie », tout en appelant au renforcement du partenariat. Le journal Al-Shaab News (affilié à l’UGTT) a rapporté que Perrone avait déclaré que cette rencontre avait eu lieu simplement à l’occasion du 30e anniversaire de l’accord de partenariat entre la Tunisie et l’Union européenne.
Une ligne souverainiste qui ne tolère aucune « ingérence »
Ces contacts ont été perçus par Carthage comme autant de dépassements des règles du « travail diplomatique » et des « canaux officiels reconnus ». La présidence tunisienne a en effet rappelé que l’ambassadeur, en tant que représentant plénipotentiaire de l’UE auprès de l’État tunisien et de ses institutions, doit respecter strictement les procédures diplomatiques, sans recourir à des initiatives unilatérales ou des démarches « hors normes ».
Le représentant de l’UE a-t-il péché par manque de discernement en ne prenant pas en compte notamment les actuels rapports extrêmement tendus entre le chef de l’Etat tunisien et l’UGTT ? Officiellement, le communiqué ne précise pas toutefois quelle partie exacte des protocoles a été enfreinte — ni la nature précise des échanges qui posent problème, sachant que ce n’est pas la première fois que de hauts officiels européens procèdent à de tels entretiens.
En l’absence de détails, certains observateurs estiment que cette convocation s’inscrit dans un contexte plus large de tensions entre Tunis et Bruxelles, marquées par des désaccords sur la souveraineté, la gestion des partenariats économiques et sociaux, mais aussi sur la place des syndicats et de la société civile.
Pour le pouvoir tunisien, il s’agit de rappeler les « limites » du rôle diplomatique : un rappel d’autorité afin de garantir que les relations de coopération se fassent selon des voies institutionnelles clairement établies.
Du côté de l’Union européenne, aucune réaction officielle n’avait été publiée au moment des premières dépêches — ce silence pourrait suggérer une volonté d’évaluer les implications diplomatiques avant de réagir, ou bien de privilégier la discrétion dans un contexte sensible.
L’affaire illustre quoi qu’il en soit à la fois la fragilité des équilibres diplomatiques actuels entre la Tunisie et ses partenaires européens, et la sensibilité accrue à tout ce qui peut être perçu comme ingérence, directe ou indirecte, dans les affaires internes du pays. En convoquant l’ambassadeur, Carthage envoie un signal ferme quant à sa conception de la souveraineté et du respect des normes diplomatiques — un message dont les répercussions sur la coopération future restent à mesurer.