Cette petite boutique parisienne qui importait des États-Unis tout ce dont rêvaient les B-Boys français et européens, fut un incontournable du parcours hip-hop de 1986 à 1996. Très original dans la forme, le film raconte cette épopée hors norme. À voir sur Canal+.

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France Télévisions – Rédaction Culture

Publié le 26/11/2025 11:44

Mis à jour le 26/11/2025 13:05

Temps de lecture : 5min

La devanture du magasin Ticaret (Paris 10e) vers 1990. Extrait du docu-fiction "Ticaret" de J.O.E. l'Extraterrestre produit par Canal+ (2025). (CAPA PRESSE / BOOM FILMS / CANAL+)

La devanture du magasin Ticaret (Paris 10e) vers 1990. Extrait du docu-fiction « Ticaret » de J.O.E. l’Extraterrestre produit par Canal+ (2025). (CAPA PRESSE / BOOM FILMS / CANAL+)

Pour les premiers Français foudroyés par le hip-hop, Ticaret fut un rendez-vous incontournable. Durant une dizaine d’années, cette petite boutique ouverte en 1986 au 52 rue du Château Landon (Paris 10e) fut à l’épicentre du mouvement. Un docu-fiction en deux parties d’une heure chacune, proposé par Canal+ et réalisé par J.O.E. l’Extraterrestre, retrace l’histoire de ce lieu mythique.

Situé à deux pas du fameux terrain vague de La Chapelle où le pionnier DJ Dee Nasty organisait les premières « block parties » parisiennes en musique comme dans le Bronx, Ticaret fut monté par un tandem improbable. D’un côté, Françoise Hautot, ancienne mannequin cabine et créatrice de mode option friperie chic, dotée d’un solide sens des affaires, et de l’autre, Dan Fourneuf, un électricien passionné de rollers tombé tête la première dans le hip-hop.

Au départ, le magasin vend essentiellement de la fripe. Mais les amateurs de hip-hop qui commencent à s’y retrouver réclament à Françoise qui se rend régulièrement à New York pour chiner, de rapporter les attributs qu’arborent les stars du rap sur leurs pochettes et dans leurs clips.

Le bonnet Kangol comme LL Cool J, les « nameplates » en boucles de ceinture et en colliers comme les Beastie Boys ou Run DMC, le blouson bomber de Public Enemy, les bagues trois doigts, les fausses dents en or et les baskets siglées : Ticaret propose peu à peu tous les signes distinctifs du code vestimentaire et identitaire du B-Boy. Les B-Girls, elles, attendront. Dan en témoigne dans le film : rien n’était prévu les premiers temps pour les filles du mouvement, alors que prospéraient les rappeuses comme Queen Latifah et Salt & Peppa, mais il y remédia.

Ce point de ralliement est d’abord fréquenté par les graffeurs du BBC Crew, qui travaillent leurs lettrages sur cahier durant des heures au comptoir de Ticaret, et en peignent l’enseigne. Puis le corner dédié à la fripe de la boutique rétrécit au profit du hip-hop. « Ce sont les gens de la rue, la communauté hip-hop, qui ont créé Ticaret », par leur présence et leurs demandes, estime Dan.

Bientôt, on vient, parfois d’aussi loin que Bruxelles ou même d’Allemagne, y commander du travail aux graffeurs, y sérigraphier des T-shirts, y écouter les derniers vinyles introuvables en Europe, se jeter sur les dernières mixtapes de Cut Killer et Dj Abdel, y récupérer une boucle de ceinture avec son « blaze », y acheter le fanzine hip-hop Get Busy, et surtout s’informer, rencontrer et échanger avec ses semblables.

Reconstitution de l'intérieur de la boutique parisienne Ticaret, avec les fondateurs Dan et Françoise, dans le docu-fiction "Ticaret" de J.O.E. l'Extraterrestre produit par Canal+ (2025). (CAPA PRESSE / BOOM FILMS / CANAL+)

Reconstitution de l’intérieur de la boutique parisienne Ticaret, avec les fondateurs Dan et Françoise, dans le docu-fiction « Ticaret » de J.O.E. l’Extraterrestre produit par Canal+ (2025). (CAPA PRESSE / BOOM FILMS / CANAL+)

Dans ce drôle d’ovni filmique, où l’on apprend entre autres choses que les premières baskets ont été créées dans l’Allemagne nazie et que les couvre-chefs Kangol étaient fabriqués dans les Pyrénées, on croise très peu de documents vidéo d’époque.

Leur rareté est compensée par des images de reconstitution jouées par des comédiens, des collages psychédéliques, des passages lyriques dits par le comédien Reda Kateb, et une profusion de témoignages.

Dan et Françoise racontent cette épopée avec recul et moult détails réjouissants (qui auraient cependant gagné à être raccourcis dans la première partie). On retrouve régulièrement Booba, qui effectua un stage d’un an à la boutique à l’âge de 17 ans et y posa ses premières rimes au micro avec La Cliqua dans le studio aménagé au sous-sol. Dan se souvient d’avoir été bluffé par son talent : « On n’avait jamais entendu rapper comme lui avant. Il n’était pas au-dessus des autres, il était déjà sur une autre planète. »

JoeyStarr, Oxmo Puccino, Solo de Assassin, Cut Killer, Ash et Skki du BBC Crew, Crazy JM de IZB et Sear de Get Busy, tous témoignent, souvent avec des étoiles dans les yeux. « C’était une sorte de portail inter-dimensionnel et intemporel dans lequel tu te retrouvais à New York, un peu à Londres aussi, et à Paris, mais à Paris dans le futur », se remémore Oxmo Puccino. « Je regardais [les émissions] Rap Line ou Yo MTV Rap, eh bien Ticaret, c’était comme si tu rentrais dans ton écran de télé », compare Booba. « Dans la culture hip-hop et B-Boy européenne, à cette époque-là, passer par Ticaret, c’était le pèlerinage, parfois juste pour aller voir, même pas pour acheter », résume Solo de Assassin.

Concept-store avant l’heure, « plaque tournante plus que commerce », « passerelle entre les États-Unis et la France », Ticaret a baissé définitivement le rideau en 1996. « J’ai compris que le magasin était devenu mythique quand on a fermé », avoue Dan. Trente ans plus tard, ce « monument » hip-hop d’ici valait bien un documentaire.

« Ticaret » de J.O.E. l’Extraterrestre (2025), en deux épisodes de 60 min chacun, est visible depuis lundi 24 novembre sur Canal+