À chaque camp politique son symbole. Pour officialiser sa candidature, l’opposant de centre droit Charles Compagnon a choisi Villejean, là où il a réchappé à une fusillade liée au narcotrafic. L’Insoumise Marie Mesmeur s’est lancée depuis l’un de ces quartiers populaires où son parti se bâtit un électorat. Ce jeudi 20 novembre, Nathalie Appéré, elle, opte pour le Grand Huit, un tiers lieu dédié aux arts forains, devenu « the place to be » depuis son ouverture sur un ancien atelier SNCF.

Municipales à Rennes : le grand bilan de Nathalie Appéré

Ce matin-là, la maire sortante confirme ce que tout le monde sait : elle sera bien candidate aux municipales de mars 2026 pour un troisième mandat. Rendez-vous en janvier pour le lancement de sa campagne. L’objectif de la conférence de presse n’est pas tant dans cette vraie-fausse annonce. Il est plutôt dans la photo, qui marque le coup d’une « union inédite ». Pour la première fois, Nathalie Appéré embarque les Verts avec elle dès le premier tour. La quasi-totalité de la galaxie de la gauche est à ses côtés. La voici meneuse d’une alliance « de Ruffin à Glucksmann », avec douze logos au total dont orner les futurs tracts.

Rennes, bastion du combat contre le RN

Dans un froid polaire, celle qui est maire depuis 2014 prend le temps de vanter le bilan de son équipe. Mais des dossiers locaux, il est peu question. Le point central du discours : la gauche rennaise montre l’exemple et envoie un message de résistance face à la vague brune qui pourrait tout emporter en 2027. « Nous avons en commun de penser que la solidarité, la justice et l’entraide ne sont pas des valeurs dépassées, lance-t-elle. Nous savons qu’il y a néanmoins des vents contraires à l’idéal que nous portons. » Avant de promettre de lutter contre le RN « jusqu’à son dernier souffle ». On le comprend entre les lignes : les Rennais de gauche sont appelés à faire bloc avec elle pour « mener le combat ».

La solidarité, la justice et l’entraide ne sont pas des valeurs dépassées

Agiter le péril l’extrême droite dans une élection municipale où le parti lepéniste n’a aucune chance de gagner prête le flanc aux critiques. Mais les législatives 2024 ont montré que la menace du RN mobilise. En bâtissant une large alliance, la maire sait aussi qu’elle répond à la demande d’union, ultra majoritaire chez ses électeurs. Le but : une stratégie susceptible de la faire gagner dès le premier tour du 15 mars. En témoigne le poids du bloc de gauche en 2020, près de deux tiers des voix. Reste l’inconnue du score de la liste LFI, qui pourrait contenir le sien et lui imposer un second tour. Tant pis. La maire refuse de pousser l’unitarisme jusqu’aux troupes de Jean-Luc Mélenchon. Il y a plus de points à perdre avec eux que sans, ont calculé ses conseillers depuis longtemps.

Voici donc Nathalie Appéré dans les habits de la championne de la nouvelle gauche face au péril identitaire. Et tant pis pour les commentaires des rancuniers qui ne manqueront pas de rappeler ses choix passés. Ceux de 2016, par exemple, quand la jeune maire choisit le droitier Manuel Valls à la primaire du PS. Ou quand, cette même année, depuis son siège de députée, elle vote pour la déchéance de nationalité. Certes, elle le fait la mort dans l’âme, tant la proposition heurte ses valeurs. Mais, à l’époque, la loyauté au parti prévaut chez une parlementaire pas vraiment du genre frondeuse.

« Maire écologiste »

Il faut attendre 2017 pour voir Nathalie Appéré, délivrée de son mandat national et de la tutelle du PS, pivoter peu à peu. Son écurie vient alors de subir une défaite historique à la présidentielle, noyée par la déferlante Macron. À Rennes, des pans entiers de son électorat ont voté pour l’ancien ministre de l’Économie. Les chantres rennais du « nouveau monde », sûrs d’eux-mêmes, croient en leur chance de faire basculer l’Hôtel de Ville. Alors qu’elle aurait pu se rendre Macron-compatible, comme tant de ses camarades bretons socialistes, Nathalie Appéré prend une autre voie. Elle choisit l’opposition au président de la République et mise sur la refondation verte de la gauche.

Dès 2018, elle le déclare au Télégramme : « Je me définis pleinement, aujourd’hui, comme une maire écologiste (…). Je suis venue à la politique par la question sociale. Mes convictions ne sont peut-être pas historiques. Pour autant, elles sont sincères. » Un cheminement né de ses lectures des rapports du GIEC, détaille-t-elle, et de la répétition des crises climatiques. Des paroles confirmées par les actes : sous son ère, Rennes s’est engagée sur la voie de la transition, entre développement des transports en commun et arbres plantés à tout-va.

Alors qu’elle postule à un troisième bail, la maire récolte donc les fruits de son aggiornamento politique, qui lui a permis de se maintenir au centre du jeu. Aidée, aussi, par le recul électoral des Écologistes, qui a pesé lourd dans leur décision de la rejoindre. Ses clivages avec le reste de la gauche, qui persistaient lors de sa première élection en 2014, se sont pour l’essentiel estompés. Et c’est tout naturellement qu’elle peut s’imposer, à la fois comme candidate et bonne élève de la reconstruction de son camp. La preuve qu’on peut à la fois détester « la poloche », comme elle le dit, et être habile en la matière.

Nouveau contexte, nouvelle stratégie

Le prix à payer : revoir sa méthode. Au risque de l’incohérence ? En 2020, la candidate Appéré avait misé sur l’effacement des partis. Pour définir son programme, six Rennais non encartés avaient été désignés. Un recours à la « société civile » destiné à contrer les deux mouvements concurrents qui s’en réclamaient aussi : les macronistes et surtout les Verts, décidés à y aller seuls. « J’ai la conviction qu’on ne peut plus écrire un programme dans le huis clos des appareils politiques », analysait-elle.

Six ans plus tard, le contexte a changé. Et la démarche avec. Sous sa houlette et dans le plus grand secret, les forces de la majorité sortante ont planché pendant 21 heures sur le programme à présenter aux Rennais et les équilibres politiques de la future liste. Les Verts s’en sortent bien, en obtenant le même nombre d’élus qu’aujourd’hui, malgré leur perte de vitesse. Quant au programme, on sait encore peu de choses. Il sera présenté début 2026, après le lancement de la campagne. Son opposition aura fort à faire pour enrayer la machine Appéré.