Le compte à rebours vers 2035, censé
marquer la fin du moteur thermique en Europe, tourne au cauchemar
pour les constructeurs. Concurrence asiatique et demande hésitante
poussent l’industrie à réclamer un moratoire auprès de
Bruxelles.
L »industrie automobile européenne, prise entre une demande en
électrique moins forte que prévue et la pression de la Chine,
implore Bruxelles de revoir sa copie. Alors que l’arrêt de la vente
de véhicules thermiques neufs était fixé à 2035, les constructeurs
poussent pour un assouplissement de cette règle, notamment en
autorisant les carburants alternatifs. L’Union européenne devrait
dévoiler le mois prochain un ensemble de mesures destinées à
soutenir un secteur fondamental, désormais menacé d’un déclin.
Le réveil après l’ivresse électrique
Il y a encore quelques années, l’enthousiasme était palpable.
Les constructeurs automobiles européens affichaient de grands
objectifs pour l’électrification totale de leurs gammes, surfant
sur une vague d’optimisme et de conviction réglementaire. Ces
efforts, aussi louables soient-ils, se heurtent aujourd’hui à une
réalité de marché beaucoup moins romantique. La transition
vers le tout électrique, envisagée comme un passage en force d’ici
2035, est en train de caler.
C’est un véritable bras de fer qui s’engage désormais entre les
capitaines d’industrie et les législateurs européens.
L’enjeu est colossal, car c’est la survie d’un des piliers
économiques du continent qui est posée. La raison de cette
panique soudaine ? Une demande pour les véhicules
électriques à batterie qui, bien qu’en progression, n’atteint
pas les sommets nécessaires pour compenser le déclin rapide des
voitures thermiques classiques. À cela s’ajoute une
concurrence chinoise redoutable qui grignote les parts de
marché, exacerbant la pression sur des marges déjà réduites par des
coûts énergétiques élevés.
Le règlement qui prévoyait que tous les véhicules neufs vendus à
partir de 2035 devront être à zéro émission a été adopté en mars
2023, à une époque où le ciel semblait plus dégagé pour la voiture
électrique. Les constructeurs, aujourd’hui sous pression,
réclament des concessions. Stellantis a
prévenu que sans une aide extérieure rapide, l’industrie risquait
de s’engager dans une voie de “déclin irréversible”
d’après les mots de son président John Elkann. Dans cette situation
particulièrement tendue, le Vieux Continent se prépare à dégainer
un plan d’urgence. Bruxelles devrait dévoiler le mois
prochain un ensemble de mesures destinées à soutenir le secteur
automobile dans ce contexte de turbulences économiques
(coûts de l’énergie, menaces de droits de douane américains) et de
rivalité asiatique. L’attente est fébrile. Mais l’aide financière
ou réglementaire n’est qu’une partie du problème. Ce que
l’industrie souhaite vraiment, c’est regagner de la flexibilité sur
le calendrier.
Le carburant CO2-neutre, la planche de salut du moteur
thermique ?
Les constructeurs européens veulent ramener le moteur à
combustion sur la table des discussions. L’objectif n’est pas
d’abandonner l’électrique, mais d’assouplir l’échéance de
2035, jugée trop rigide et déconnectée de la réalité du
consommateur. La principale monnaie d’échange avancée est
l’acceptation des carburants dits CO2-neutres. L’industrie espère
convaincre la Commission européenne que des carburants alternatifs,
qu’il s’agisse de biocarburants sophistiqués ou de e-carburants de
synthèse, pourraient continuer d’alimenter les moteurs thermiques
et les véhicules
hybrides rechargeables, ainsi que les prolongateurs
d’autonomie, bien au-delà de l’interdiction prévue. Pour les
constructeurs, cela permettrait de réduire les émissions globales
sans contraindre les clients à faire le saut vers le BEV s’ils n’y
sont pas prêts.
Pourquoi cette volte-face ? Les chiffres parlent d’eux-mêmes.
Selon les données de l’ACEA
(l’association des constructeurs européens), la part de
marché des véhicules purement électriques n’a atteint que 16 % sur
les dix premiers mois de l’année, même si ce chiffre est
en légère progression par rapport aux 13 % de l’année précédente.
C’est un taux de pénétration honnête, certes, mais insuffisant pour
respecter la feuille de route établie par les politiques.
Les freins à l’achat sont nombreux. L’angoisse de l’autonomie
reste un problème fondamental pour les ménages. Cette inquiétude
est d’autant plus vive en Europe centrale et orientale, où le
déploiement des infrastructures de recharge accuse un retard
considérable. De plus, dans des pays comme l’Allemagne,
traditionnellement acquis à la cause automobile, le coût élevé de
l’électricité est devenu une inquiétude sérieuse pour les acheteurs
potentiels. La voiture électrique est vue comme un pari coûteux à
l’usage dans un contexte de crise énergétique.
Les constructeurs argumentent désormais que des objectifs fixes
et immuables n’ont plus de sens. Pour eux, c’est le marché,
et non le législateur, qui doit décider quand le moteur à
combustion devra définitivement céder sa place. Ils
privilégient d’ailleurs des mesures incitatives, visant à stimuler
la demande pour les véhicules électriques, plutôt que des
interdictions qui désorganisent la production et frustrent la
clientèle. C’est dans ce contexte que Bruxelles s’apprête à
déballer le mois prochain une série de mesures qui sera donc lourde
de conséquences.