• Quatre personnes ont été mises en examen ce mardi pour des soupçons d’espionnage.
  • Elles sont accusées de travailler pour le compte du renseignement militaire russe.
  • TF1info a interrogé Cyril Gelibter, spécialiste des renseignements russes, pour en savoir plus sur les méthodes qu’utilise le Kremlin.

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Ukraine : 4ᵉ année de guerre

Des espions à la solde du Kremlin. Quatre personnes ont été mises en examen et écrouées ce mardi 25 novembre dans le cadre d’une double affaire mêlant ingérence et espionnage au profit de Moscou (nouvelle fenêtre). Des têtes de cochon devant des mosquées (nouvelle fenêtre)aux mains rouges sur le Mur des Justes (nouvelle fenêtre) au Mémorial de la Shoah, en passant par les cercueils au pied de la tour Eiffel (nouvelle fenêtre), les affaires de possible ingérence étrangère se sont multipliées au cours des derniers mois en France. Des opérations de déstabilisation où la piste du renseignement militaire russe est à chaque fois privilégiée. La France, un nid d’espions envoyés par Moscou ? Pour en savoir plus, TF1info a interrogé Cyril Gelibter, docteur en histoire et spécialiste des renseignements russes.

Certains experts avancent que les capacités des services d’espionnage russes sont encore plus importantes qu’à l’époque de la guerre froide. Depuis l’arrivée au pouvoir de Vladimir Poutine, leur nombre aurait même doublé, indiquait ce matin sur LCI Sergueï Jirnov (nouvelle fenêtre), ancien officier du KGB. 

Cyril Gelibter : Durant la guerre froide, vous aviez en Russie deux services d’espionnage : le KGB et le GRU. Maintenant, vous en avez trois, avec le SVR qui est l’équivalent de notre DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure, ndlr). Les membres du SVR s’occupent du renseignement politique, économique, scientifique. Le GRU, c’est pour le renseignement militaire. Quant au FSB, c’est le service de sécurité intérieure. Mais son périmètre d’action est beaucoup plus vaste. 

Le FSB a ses propres branches de renseignement extérieur, ses propres capacités pour faire des écoutes, y compris à l’étranger, ses propres unités d’élite, ses propres magistrats instructeurs et même ses propres prisons. Et c’est lui aussi qui s’occupe du contre-espionnage militaire, l’équivalent chez nous de la DRSD (Direction du renseignement et de la sécurité de la défense, ndlr). On peut voir sur les images satellites que le siège du SVR, qui se trouve à Yasenevo, dans la banlieue sud de Moscou, a augmenté de taille au cours des dernières années. Donc, ils ont forcément recruté du personnel supplémentaire.

Ils misent sur le temps long. Même s’il faut 3 ou 4 ans pour recruter une source, ce n’est pas un problème

Cyril Gelibter

En quoi les services d’espionnage russes se distinguent-ils de ceux des autres pays ?

Les services russes sont très bons sur la collecte d’informations, mais beaucoup moins sur l’interprétation et l’analyse, car il y a une politisation du renseignement en Russie. Si l’information ne va dans le sens voulu, on la met de côté. En clair, on ne dit à Poutine ce que Poutine a envie d’entendre. C’était déjà le cas à l’époque soviétique. Leur autre point faible, c’est qu’il y a une concurrence entre chacun des services. 

Leur particularité, c’est qu’ils misent sur le temps long. Même s’il faut trois ou quatre ans pour recruter une source, ce n’est pas un problème. Les Russes n’hésitent pas à aller au carton s’il le faut : ils sont beaucoup plus offensifs. En France, le Parlement exerce un contrôle sur les services de renseignement. En Russie, ce n’est pas le cas, puisqu’ils dépendent uniquement du pouvoir exécutif, donc du Kremlin.

La France est une cible de choix pour les services d’espionnage russes

Cyril Gelibter

Comment les services russes procèdent-ils pour collecter des informations sensibles ?

Les services russes ciblent des personnes qui ont accès à de l’information qui les intéresse ou qui peuvent faire de l’influence dans le sens qui les intéresse. Cela peut être un cadre du ministère de la Défense, quelqu’un qui fait partie des états-majors ou encore un jeune étudiant en médecine, en vue d’infiltrer par la suite l’Institut Pasteur, par exemple. La France est une cible de choix pour les services d’espionnage russes: elle est membre de l’Otan et a apporté son soutien à l’Ukraine dès le début de l’invasion russe. La Russie a trois objectifs : discréditer le pouvoir ukrainien, faire en sorte que les pays qui soutiennent l’Ukraine se désengagent, et obtenir la levée des sanctions. Et les services d’espionnage sont mis à contribution pour y parvenir.

Avez-vous des exemples d’affaires ?

En 2022, les services de renseignement russe sont parvenus à recruter une personne qui était ingénieure au bureau d’études d’une société ukrainienne de conception de missiles. Elle était née en Russie et soutenait Poutine. Je pense qu’ils l’ont appris via sa famille, qui était restée en Russie. L’officier traitant du FSB l’a contactée en lui envoyant un message sur la messagerie Viber.

En France, dans les années 1980, on peut citer l’affaire Francis Temperville. C’était un ingénieur en physique nucléaire qui travaillait au CEA (Commissariat à l’énergie atomique, ndlr). Pendant des années, il a livré de nombreux secrets français aux Russes, avant de se faire arrêter (en 1992). Un officier du KGB l’a approché lorsqu’il était étudiant en répondant à une annonce de cours particuliers qu’il proposait. Petit à petit, Temperville a fini par livrer des informations classifiées. Évidemment, il était très bien rémunéré en échange.

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On peut également citer le cas de l’ambassadeur Maurice Dejean, sous la présidence de De Gaulle. Les services secrets soviétiques avaient engagé une actrice pour le séduire, avant de menacer de tout révéler. Manque de bol pour le KGB, l’un des agents avait pris la fuite au Royaume-Uni et avait tout déballé. Les Anglais avaient informé les services de renseignement français que leur ambassadeur avait été compromis à la suite d’un chantage aux mœurs organisé par le KGB. À son retour à Paris, il avait été congédié par le président de la République.

Matthieu DELACHARLERY