D’après certains historiens normands, la Cité Immersive Viking de Rouen présente plusieurs approximations dans son traitement de cette période. Le cofondateur du lieu dément.

« C’est du grand n’importe quoi », réagit Pierre Bauduin, professeur d’histoire médiévale à l’université de Caen à propos de l’une des salles de la Cité Immersive Viking à Rouen. Il n’est pas le seul historien à s’interroger sur le contenu de ce lieu consacré à l’arrivée des Vikings en Normandie. D’après l’un de ses fondateurs, cet endroit a attiré environ 150.000 personnes depuis son ouverture en juin 2024.

La dernière scène, des vidéos projetées sur les murs et le plafond de la salle, racontant l’histoire des descendants des Vikings, a heurté Pierre Bauduin. « C’est un mélange de genre, ce n’est pas réussi d’un point de vue historique. Il n’y a pas d’histoire, car c’est une accumulation d’images dont j’ai du mal à saisir le sens. » Le cofondateur du lieu, Jean Vergès, s’en défend. »Nous ne diffusons pas de fausses informations historiques. Évidemment, notre intention, c’est d’être le plus proche de la rigueur, mais il y a une part de récit pour créer un contenu grand public. »

 » Nous ne diffusons pas de fausses informations « 

« On dit aussi que la Normandie est un duché alors que le premier terme attesté de duc de Normandie remonte au XIe siècle alors que là, on est au Xe siècle », remarque Christophe Cramoisan, étudiant en master d’histoire à l’université de Rouen. Jean Vergès précise ce que l’exposition a voulu transmettre comme message : « Alors la date de 911, c’est un peu la date légendaire pour la création de la Normandie par le traité de Saint-Clair-sur-Epte. Le Duché de Normandie en tant que tel est effectivement postérieur, le titre de Duc de Normandie arrive un petit peu plus tard. »

Alexis Grélois, son maître de conférence en histoire du Moyen Âge à l’université de Rouen, soulève un autre problème. « Ce qui m’a le plus marqué, c’est cette volonté de faire de Rollon un héros quasi-surhumain et de concentrer sur la période 912-927 la formation de la Normandie alors que c’est un processus beaucoup plus long et qu’en 927, la situation est encore extrêmement précaire. »

Jean Vergès n’est pas d’accord : « Lorsque Rollon, en 927 dans son discours dit qu’il a voulu créer une Normandie prospère et bien oui, on peut l’assumer, on peut le dire parce qu’à cette époque, la Normandie est stabilisée politiquement, est stabilisée sur le plan sécuritaire et va véritablement ouvrir la voie vers une destinée qui est assez exceptionnelle. »

« Le risque est d’avoir une vision très partielle »

Que retenir de cette Cité Immersive Viking ? Alexis Grélois l’admet : « J’ai plutôt passé un bon moment, le spectacle final est plutôt réussi d’un point de vue visuel. Les premières salles sont intéressantes. Il y a des anachronismes, mais qui ne sont pas trop gênants. » Mais il est aussi critique sur certains aspects du lieu. « En tant qu’historien, j’ai été frappé par le nombre d’inexactitudes. Le risque, c’est d’avoir une vision très, très partielle, dont on ne garderait du début que les Vikings sanguinaires puisque Rollon est un gars génial qui a laissé une Normandie parfaite et que cette Normandie s’est affirmée conquérante en Italie du Sud ou dans l’espace avec Thomas Pesquet. »

Jean Vergès a une toute autre vision des choses. « Les querelles d’historiens sur est-ce que le bon terme a été employé ou non finalement ne sont pas notre sujet à partir du moment où on reste droit dans la démarche et dans la nature du contenu que nous utilisons. » Le cofondateur de la Cité Immersive de Rouen assume son choix de vulgariser l’histoire. « On peut être extrêmement fier de se dire qu’on accueille des gens qui ne se rendent pas traditionnellement dans les musées. Nous avons vocation à être une étincelle vers des savoirs plus spécialisés. » Jean Vergès précise qu’un ouvrage co-écrit par 11 historiens, mandatés par la Cité Immersive Viking, est disponible en boutique pour les visiteurs qui voudraient en apprendre plus sur le sujet.