Il y a quelques jours, le Parlement arménien votait à une large majorité en faveur d’une demande d’adhésion à l’Union européenne. Un signal fort, une main tendue à Bruxelles dans l’espoir d’une réponse – qui, pour l’instant, n’est jamais arrivée. Silence radio dans les couloirs feutrés de l’Union. Pas un mot, pas un regard, pas même un vague communiqué d’encouragement.
Pendant ce temps, à Bakou, c’est champagne et tapis rouge. La nouvelle vice-présidente de la Commission européenne, Kaja Kallas, a débarqué sous les dorures du pouvoir azerbaïdjanais, sourire aux lèvres, pour annoncer un « nouvel élan » dans les relations UE-Azerbaïdjan.
À Erevan, on rêve d’Europe. À Bakou, on signe des contrats.
En conférence de presse, Kallas a promis d’accélérer la conclusion d’un nouvel accord de partenariat. Presque 90 % du texte est déjà bouclé, nous dit-on. Les derniers pourcents ? Des détails économiques, vite expédiés dès qu’il s’agit d’assurer l’approvisionnement énergétique d’un continent en mal de gaz bon marché.
Car derrière les envolées diplomatiques, la realpolitik reprend ses droits : l’Europe a besoin du gaz azerbaïdjanais pour tenir l’hiver, pas de beaux discours démocratiques. Depuis cinq ans, le Corridor gazier méridional pompe le gaz du Caucase jusqu’à dix pays européens, dont huit États membres de l’UE. Le genre de tuyau qui pèse plus lourd que n’importe quelle déclaration d’intention venue d’Erevan.
La géographie comme destin
Mais l’affaire ne s’arrête pas au gaz. L’Azerbaïdjan s’érige en hub logistique de l’Eurasie : le Corridor médian, reliant l’Europe à la Chine via la mer Caspienne, passe par ses rails et ses ports. Alors que Bruxelles cherche désespérément à diversifier ses routes commerciales loin d’une Russie « infréquentable », Bakou apparaît comme une pièce maîtresse du grand échiquier eurasiatique.
Quant aux critiques sur les atteintes aux droits humains ou le nettoyage ethnique perpétré contre le Haut-Karabagh ? Enterrées sous les besoins énergétiques. Bruxelles, jadis si prompte à sermonner, change de ton. Exit les coups de menton de Josep Borrell, ex-Haut représentant de l’UE, et ses « doubles standards » dénoncés à Bakou. Exit aussi les belles résolutions du Parlement européen. Avec Kaja Kallas, place au pragmatisme : on parle business, pas principes. Dans le droit fil des déclarations d’Ursula von der Leyen, présidente pour un deuxième mandat de la commission européenne, pour qui l’Azerbaïdjan semble toujours « un partenaire de confiance »…
L’Arménie, belle absente
Et l’Arménie dans tout ça ? Oubliée. Ni gaz, ni corridors, ni pression géopolitique suffisante pour capter l’attention d’une Europe à l’appétit pragmatique. Alors que le régime Pachinian enfonce le pays dans une solitude stratégique inquiétante, ses avances restent sans écho.
À Bruxelles, on préfère conclure avec un régime pétrolier et gazier qu’ouvrir des négociations compliquées avec un petit pays enclavé, vulnérable, et pas franchement prioritaire.
Le message est clair : dans la nouvelle donne du Caucase, mieux vaut avoir des pipelines que des principes.
Paul Nazarian