Un rapport à charge de la Cour des Comptes au sujet du Centre national des arts plastiques critique la gestion, les missions et la pérennisation de l’Établissement public sous tutelle du ministère de la Culture. Ses conclusions soulèvent quelques questions majeures.
Le 19 novembre, les magistrats de la Cour des Comptes ont dévoilé un rapport accablant qui préconise la suppression du Centre national des arts plastiques (Cnap) d’ici 2030 et la redistribution de ses missions. L’audit conduit par Julien Aubert (Les Républicains) met notamment en lumière « un modèle économique non viable » et « des missions insuffisamment remplies ». Toutefois, le ministère de la Culture ne suit pas ces recommandations et soutient le Cnap, essentiel au secteur des arts visuels. Retour sur ce rapport accablant dont certaines voix semblent dire qu’il est biaisé par sa tournure politique.
Le Cnap : 108 000 œuvres d’art et des missions essentielles pour la création française
Opérateur majeur du ministère de la Culture qui soutient la scène artistique française, le Cnap a pour objectif d’accompagner et soutenir les artistes et les professionnels du secteur, tels que les galeries, éditeurs, restaurateurs et critiques d’art. Le Cnap acquiert, conserve et diffuse des œuvres d’art pour l’État, et possède actuellement plus de 108 000 œuvres (acquises depuis plus de deux siècles) de 20 000 artistes, dont les deux tiers sont déposées dans des musées ou des administrations. Ne possédant pour l’instant pas d’espace d’exposition propre, il prête sa collection et produit des expositions en partenariat.
Cildo Meireles, « Marulho (La houle), 1991-1997 », collection du Cnap. © Cildo Meireles / Cnap. Crédit photo : Mathieu Vincent – CMN
Analysant les activités du Cnap entre 2016 et 2024, le rapport de la Cour des Comptes critique différents aspects de l’Établissement public. Tout d’abord, il estime que la multiplication des acquisitions d’œuvres (près de 45 000 sur les 108 000 totales depuis 1982) n’est pas suivie d’une diffusion suffisante : « Alors que la diffusion des œuvres acquises en l’an 2000 atteint près de 75 %, seules 30 % des œuvres acquises en 2010 ou en 2020 sont diffusées. Un quart de la collection n’est jamais sorti des réserves, soit la moitié des œuvres stockées en réserve (24 000 œuvres sur 46 000 en réserve) », précise le rapport. Il pointe également la défense insuffisante des artistes français, presque à égalité avec les achats des artistes étrangers entre 2017 et 2023.
Gestion défaillante et modèle économique non viable : les reproches de la Cour des Comptes
Pourquoi la Cour des Comptes estime-t-elle que les missions du Cnap sont insuffisamment remplies ? D’après le rapport, l’opérateur du ministère de la Culture ne dispose pas d’études sur l’impact réel de son soutien financier sur la carrière des artistes et la diffusion des œuvres est insuffisante. De plus, la conservation et la gestion des collections sont, dit-il, défaillantes : le récolement est lacunaire, la connaissance du fonds reste incomplète et l’outil informatique de gestion est obsolète. Qui plus est, la gestion lourde et coûteuse du Cnap le rend dépendent financièrement à l’État.
Dans les réserves du Centre national des arts plastiques (Cnap) © Cnap, 2020
Déclassement d’œuvres et dissolution : les recommandations controversées de la Cour des Comptes
En plus de la dissolution de l’institution, la Cour des Comptes a émis d’autres recommandations, telles que le développement d’activités commerciales génératrices de revenus propres (billetterie, produits dérivés, privatisation…) mais surtout un déclassement d’œuvres jugées moins pertinentes : « Ce levier, assimilable à la pratique du « désherbage » en usage dans les bibliothèques, n’est à ce jour ni mentionné ni exploré. » Les collections du Cnap étant nationales, elles sont inaliénables, un principe essentiel du droit français qui permet de les protéger, notamment des changements de goût. C’est pourquoi cette recommandation n’est pas recevable. La Cour des Comptes voit aussi d’un mauvais œil le départ des locaux de La Défense du Cnap pour le projet immobilier du bâtiment neuf de 25 000 m² à Pantin, pour un budget de 98 millions d’euros (contre 50 M€ prévus initialement) financé par l’État, où il s’installera l’été prochain.
Perspective du Lieu de vie du Cnap depuis la rue Cartier-Bresson, à Pantin. © Bruther et
Si le Cnap disparaissait, qui prendrait la relève ? « Dans un paysage artistique très concurrentiel, aux côtés des DRAC (Direction régionale des affaires culturelles), des FRAC (Fonds régional d’art contemporain), du Centre Pompidou et de multiples centres d’art et acteurs privés (Fondation Cartier, Fondation Maeght, Fondation LVMH, Collection Pinault, etc.), son positionnement demeure incertain. » Selon les magistrats, les missions du Cnap se recoupent avec celles du Centre Pompidou, pour tout ce qui concerne les acquisitions et la gestion des collections, des Frac pour la diffusion, des Drac pour le soutien à la création et du Mobilier national pour la décoration des lieux de pouvoir. Les réserves du Centre Pompidou prévues à Massy s’annoncent déjà bien chargées. Comment les collections du Cnap pourraient-elles s’y ajouter ?
La ministre de la Culture rejette les conclusions de la Cour des Comptes
À la suite de la publication de ce rapport, des salariés de l’institution ont estimé l’audit « politique ». Dans un article de Libération, une agente souligne : « En donnant son avis sur les orientations esthétiques, le rapporteur outrepasse complètement ses prérogatives ». Qui plus est, la ministre de la Culture Rachida Dati affirme que la suppression du Cnap « ne permettrait pas de réaliser des économies significatives » et aurait au contraire pour effet « d’affaiblir la visibilité de la politique conduite par l’État en faveur du secteur des arts visuels ». Par ailleurs, la ministre a décidé de renforcer le Cnap pour en faire « le chef de file du soutien à la scène française ».
Réserve du Centre national des arts plastiques à Cap 18. © Cnap
La CGT Culture et les syndicats appellent à défendre le Centre national des arts plastiques
Le 24 novembre, la CGT Culture et le Syndicat général des affaires culturelles ont publié un communiqué pour défendre le « modèle essentiel » de cette institution qui a soutenu et valorisé plus de 8 000 projets d’artistes, de cinéastes, de commissaires d’exposition, de critiques d’art, de galeristes, d’éditeurs d’art et de producteurs audiovisuels, et constitué un « véritable patrimoine national et collectif ». Les syndicats rappellent que plus de 60 000 œuvres sont déposées auprès de 6 200 dépositaires (dont 80 % situés en dehors de la Ville de Paris), que le Cnap possède une expertise reconnue dans la gestion d’une collection, qu’il mène des actions de médiation dans les structures éducatives, les établissements pénitentiaires, les quartiers prioritaires et en milieu rural et que, malgré sa taille modeste (78 agents et 13 millions d’euros de budget annuel), il est aussi un centre de ressources professionnelles en interactions avec l’ensemble des divers acteurs du monde des arts visuels. Pour protéger l’unique opérateur de l’État dédié au secteur, les syndicats appellent à la mobilisation.
[Cnap x… | Épisode 10 : Fabrice Hyber]



