À l’appel du collectif féministe #Nous Toutes, plus de mille personnes se sont rassemblées sur la Grand-Place de Lille samedi 22 septembre pour dire stop aux violences sexistes et sexuelles (VSS). “Ras les viols !”, “mon corps, mon choix, et ferme ta gueule !”, “on ne naît pas femme, on en meurt” : sur chaque pancarte, la colère se fait sentir. Mais au-delà de la dénonciation des violences faites aux femmes, la marche porte aussi un message de solidarité envers toutes les personnes opprimées.
Selon #Nous Toutes, 149 femmes ont été assassinées depuis le début de l’année, parce qu’elles étaient des femmes. Un chiffre en hausse par rapport à l’an dernier, et le Nord n’est malheureusement pas une exception. “Toute l’année, on compte nos mortes. C’est extrêmement difficile, mais une fois par an, on se retrouve pour se donner de l’énergie dans la lutte pour les 364 jours suivants” confie Katy Vuylsteker, membre de la première marche #Nous Toutes à Lille en 2018. Pour les collectifs présents, ces féminicides s’inscrivent directement dans un système patriarcal qui structure les rapports de domination masculine et rend possible ces violences. Ils pointent du doigt le capitalisme, qu’ils accusent de contribuer à la perpétuation de ce système et des inégalités qu’il engendre.
Un combat qui semble sans fin
D’année en année, les mêmes constats reviennent. Moins de 1% des viols sont condamnés par la justice et la plupart des dossiers sont classés sans suite. “Depuis sept ans, nos revendications n’ont presque pas changé”, regrette Amy Bah, représentante de #Nous Toutes, en ouverture de la marche. Le Collectif Lillois de Luttes Féministes (CLLF) rappelle que les droits acquis grâce au mouvement #MeToo restent fragiles, face à la précarité croissante des femmes, aux attaques contre l’éducation sexuelle, à la baisse des subventions pour les associations et à la remise en cause du discours féministe dans le débat public.
Malgré ces difficultés, certaines avancées récentes donnent de l’élan à leur lutte, comme l’inscription de la liberté à l’interruption volontaire de grossesse (IVG) dans la Constitution en mars 2024 ou l’intégration du non-consentement dans la définition pénale du viol. Des acquis présentés comme des victoires populaires, rendues possibles par la mobilisation collective. Mais les militantes féministes préviennent : “Le combat est loin d’être fini ! C’est à nous de bouger pour obtenir nos victoires et pour que les droits évoluent.”
Cette énergie attire de nouvelles personnes dans le mouvement. Pauline, par exemple, est venue manifester pour la première fois : “J’ai entendu et regardé beaucoup de témoignages sur les féminicides… J’ai eu envie de participer à la manif pour soutenir ces femmes qui souffrent et qui ont souffert de toutes ces violences.”
Amy Bah, représentante de #Nous Toutes, ouvre la marche, entourée de violet, couleur emblématique de la manifestation. © Loane Rotatinti / Pépère News
Une marche féministe, solidaire de toutes les luttes
La manifestation met en avant le fait que le féminisme n’est pas un combat isolé, mais un front de solidarités, ici, et ailleurs. Les slogans résonnent tout au long du parcours : “ So-so-solidarité avec les femmes du monde entier”.
Les intervenants insistent sur des réalités souvent ignorées. Les violences touchent particulièrement les femmes racisées et/ou musulmanes, qui subissent des discriminations multiples et des attaques spécifiques liées à leur identité ou à leur religion. Leurs expériences rappellent que la lutte féministe doit être intersectionnelle. Le collectif OST (Organisation de Solidarité Trans) souligne quant à lui les risques accrus auxquels sont exposées les femmes et les personnes transgenres : “Une femme trans agressée, ce sont toutes les femmes qui sont visées.” Comme le résume Émilie, présente à chaque manifestation depuis plusieurs années : “Toute personne est égale. Il ne doit pas y avoir de différence entre les hommes, les femmes, les personnes racisées, les personnes trans.”
La solidarité dépasse largement les frontières françaises. Sur le cortège lillois, drapeaux palestiniens et banderoles violettes se mêlent tandis que la foule scande “Free Palestine” ou “Nous sommes tous des enfants de Gaza.” Les collectifs rappellent que, dans de nombreux pays, les violences sexuelles s’intensifient dans les contextes de guerre. Au Congo et au Soudan, elles sont utilisées comme armes de domination, et en Palestine, des ONG alertent depuis des années sur les violences faites aux femmes dans les territoires occupés.
Le collectif “Chez Violette” marque une pause dans la marche, chantant au nom de toutes les femmes, poings levés. © Loane Rotatinti / Pépère News
Penser aux plus jeunes, victimes invisibles
De son côté, le collectif Enfantiste alerte sur la vulnérabilité d’une autre population : “Les enfants figurent parmi les premières victimes de violences sexuelles.” Une révélation qui a laissé un silence glaçant dans la foule. D’après l’Unicef, au moins 160.000 enfants sont sexuellement violentés chaque année en France dont un quart avaient moins de cinq ans au moment des faits.
“Les enfants ont une parole, une dignité, une réalité. L’adulte n’a pas toujours raison. Un enfant n’est jamais consentant”, rappellent les militantes. La foule reprend le slogan “Victime on te croit, pédocriminel on te voit !”, un cri qui résonne d’autant plus fort après les récentes révélations de la Mission interministérielle pour la protection des femmes (Miprof), faisant état de plus de 600 nourrissons victimes de violences sexuelles en 2024.
La montée de l’extrême droite inquiète, le gouvernement exaspère
Dans le cortège, une large partie de la colère vise la montée de l’extrême droite, perçue comme un danger direct en particulier pour les personnes racisées et les femmes portant le voile. “Plus l’extrême droite monte, plus nos droits reculent. Il faut vraiment empêcher ça” explique Clara, levant sa pancarte “La révolution sera féministe”. Autour d’elle, les slogans antifascistes rythment la foule : “Les fachos ne passeront pas, les féministes sont là !”, “tout le monde déteste le RN !”, “à bas l’État, les flics et les fachos !”. Pour de nombreux collectifs, l’extrême droite représente une menace immédiate qui s’attaque aux droits reproductifs, aux associations féministes et LGBTQ+, aux minorités, et cherche à réduire au silence les mouvements progressistes.
Mais la critique ne se limite pas à l’extrême droite. Beaucoup dénoncent l’inaction du gouvernement actuel, accusé de laisser s’effondrer les moyens de lutte contre les VSS. Les fermetures de structures essentielles d’accueil et d’accompagnement des victimes, comme le Planning familial de Valenciennes en avril 2025 faute de subventions, reviennent dans le discours du collectif CLLF. Juste après, les manifestants se mettent à crier : “On est là, on est là, même si Macron ne le veut pas, nous on est là !” La situation énerve particulièrement Ethan, pour qui “les politiques actuelles ne font rien et les seules réponses du gouvernement ne sont clairement pas à la hauteur des enjeux.”
À Lille, les collectifs féministes ont ensuite appelé à une marche de nuit féministe et révolutionnaire le 25 novembre, journée internationale de la lutte contre les violences sexistes, sexuelles et de genre. Une date qui s’annonce comme une suite logique : continuer à occuper l’espace public et visibiliser les violences.