Depuis des décennies, les médecins distinguent trois formes principales de diabète : le type 1, le type 2 et le diabète gestationnel. Pourtant, un quatrième type longtemps oublié refait aujourd’hui surface — et il bouleverse la compréhension mondiale de cette maladie métabolique. Baptisé “diabète de type 5”, ce trouble méconnu concernerait des millions de personnes, surtout dans les pays à faible revenu. Sa reconnaissance officielle ouvre un nouveau chapitre dans la lutte contre le diabète.
Un diabète resté invisible pendant des décennies
Le diabète de type 5 n’est pas réellement “nouveau”. Les premières observations remontent aux années 1950, lorsque le médecin britannique Philip Hugh-Jones, en Jamaïque, avait décrit un groupe de patients présentant une glycémie élevée sans que leur maladie ne corresponde ni au type 1 ni au type 2. Il avait alors nommé ce trouble “type J” — pour Jamaïque. L’appellation n’a jamais été adoptée, et la maladie est restée dans l’ombre.
Il aura fallu plus de soixante-dix ans pour que la recherche s’y intéresse à nouveau. En 2024, un consensus international d’experts, réuni en Inde, a officiellement reconnu ce trouble comme une forme distincte, désormais appelée “diabète de type 5”. L’annonce, relayée par The Lancet Global Health, marque une étape importante : celle où la communauté médicale admet que certains patients, jusqu’ici classés à tort dans d’autres catégories, souffrent d’une pathologie à part entière.
Les chercheurs estiment que 20 à 25 millions de personnes dans le monde pourraient être concernées, notamment en Afrique et en Asie. Ces chiffres laissent penser que le diabète de type 5 est bien plus fréquent qu’on ne le croyait, mais qu’il a longtemps échappé aux radars faute de définition claire.
Quand la dénutrition abîme le pancréas
Le diabète de type 5 se distingue des autres formes par sa cause : il n’est lié ni à une attaque auto-immune, comme le type 1, ni à une résistance à l’insuline, comme le type 2. Les patients touchés ont en revanche un pancréas endommagé par une dénutrition précoce, souvent dès l’enfance. Ce manque de nutriments altère durablement les cellules bêta, responsables de la production d’insuline.
Résultat : l’organisme produit trop peu d’insuline pour réguler la glycémie, mais les tissus, eux, restent sensibles à cette hormone. C’est une différence majeure avec le diabète de type 2, où les cellules deviennent insensibles à l’insuline malgré une production suffisante.
Ces patients sont souvent minces, parfois sous-alimentés, et ont grandi dans des contextes de pauvreté ou d’accès limité à une alimentation équilibrée. La dénutrition chronique laisse une trace biologique irréversible : un pancréas affaibli, incapable de répondre correctement aux variations de sucre dans le sang.
Cette particularité rend aussi le traitement plus complexe. L’administration d’insuline, indispensable dans la plupart des cas, doit être soigneusement adaptée. Une dose trop forte, combinée à une alimentation insuffisante, peut provoquer une hypoglycémie sévère, parfois mortelle. C’est l’un des grands défis médicaux dans les pays où la nourriture est rare et le suivi médical limité.
L’étude YODA : la preuve que ce diabète existe vraiment
La reconnaissance internationale du diabète de type 5 s’appuie largement sur les résultats récents de l’étude YODA (Young-Onset Diabetes in sub-Saharan Africa), publiée dans The Lancet Diabetes & Endocrinology. Les chercheurs ont suivi près de 900 jeunes adultes atteints de diabète au Cameroun, en Ouganda et en Afrique du Sud. Leur objectif initial était de mieux comprendre le diabète de type 1.
Mais les analyses ont révélé une surprise : près des deux tiers des participants ne présentaient pas les marqueurs auto-immuns caractéristiques du type 1. De plus, leurs pancréas produisaient encore de petites quantités d’insuline, contrairement aux cas classiques. Ces observations ont confirmé l’existence d’un diabète distinct, insulino-déficient mais non auto-immun — autrement dit, un profil correspondant au futur “type 5”.
Ces résultats ont ravivé l’intérêt des chercheurs pour cette forme de diabète longtemps oubliée. Selon le Dr Rachel Reinert, endocrinologue à l’Université du Michigan, cette redécouverte pourrait changer la manière dont on diagnostique et soigne des millions de patients dans les pays du Sud.
Donner un nom, c’est aussi rendre visible
Derrière cette classification, il y a un enjeu médical et symbolique majeur. Nommer correctement une maladie permet non seulement d’améliorer les soins, mais aussi d’attirer l’attention des financeurs et des décideurs. Comme le souligne le Pr Chittaranjan Yajnik, coauteur de la déclaration de consensus internationale : “Le nom est important pour attirer la recherche et éviter que cette forme de diabète ne soit reléguée au second plan.”
En reconnaissant le diabète de type 5, la science admet aussi que les déterminants sociaux et nutritionnels jouent un rôle central dans certaines pathologies métaboliques. Ce n’est plus seulement une question de génétique ou de mode de vie sédentaire, mais une conséquence directe des inégalités d’accès à une alimentation saine dès le plus jeune âge.
Au-delà du nom, cette découverte rappelle une vérité fondamentale : la biologie humaine garde la mémoire des conditions dans lesquelles elle se développe. Et parfois, c’est dans les failles du développement que se cachent les clés de nouvelles maladies.