Publié le
27 avr. 2025 à 7h39
« J’ai envie de m’arracher la jambe », lance David Meurice, 36 ans. Dans son appartement du Bouscat, près de Bordeaux, on entend un rythme régulier : celui du concentrateur d’oxygène qu’il doit utiliser huit heures par jour. Atteint depuis de longs mois d’un Covid long, il souffre le martyre. À ses côtés, sa compagne Sandra Soulac n’est pas épargnée. Âgée de 40 ans, c’est même elle qui a contracté la maladie en premier.
En 2022, elle tombe malade du Covid-19. Et puis elle développe de nombreux symptômes : elle fait des malaises et bave inopinément. Elle cumule maux de ventre, de tête, fatigue, irritabilité, et fait des réactions cutanées à de nombreux aliments. Entre autres. « J’étais un zombie », résume-t-elle.
L’errance médicale
S’ensuivent des semaines et des mois de rendez-vous. De médecins généralistes en spécialistes, d’appels au Samu en passages aux urgences, rien n’y fait. « J’ai passé huit mois en errance médicale », se souvient Sandra Soulac. « On m’a souvent dit que c’était psychologique. » David aussi a du mal à la prendre au sérieux.
« Quand t’as 20 médecins qui disent à Sandra que c’est psy, tu les crois », se souvient David. Mais les symptômes et la douleur persistent. « J’étais prête à en finir », soupire la Girondine.
« Un jour elle m’a dit : je me donne 15 jours. Cette nuit-là, j’ai passé la nuit à faire des recherches et à tout noter. Un des médecins nous avait dit qu’il y avait peut-être rapport au Covid, j’ai cherché dans ce sens », détaille David.
Parmi les appels qu’il passe, une personne de l’Agence Régionale de Santé (ARS) lui dit qu’une cellule Covid long se monte en Nouvelle-Aquitaine. Et les dirige vers « le seul médecin spécialisé en Gironde ».
« Elle m’a dit que je n’étais pas folle, que j’avais une complication d’un Covid long : un syndrome d’activation mastocytaire (Sama) », explique Sandra. C’est un soulagement. Si ce n’est pas une guérison pour autant, Sandra peut avoir un traitement qui lui permet de moins souffrir.
Il tombe aussi malade
Mais rapidement, c’est au tour de David de tomber malade. « J’ai attrapé deux Covid en cinq semaines, l’un en décembre 2022 et l’autre en janvier 2023. Et la folie a commencé ».
« Un ventre qui triple de volume, des brûlures dans les mains, dans les pieds, de la diarrhée, la constipation, des ballonnements, de la tachycardie, de l’asthme sévère, une prise de poids », liste David Meurice. Un jour, il a noté les différents symptômes qu’il expérimente régulièrement : il en a compté 52.
La machine à oxygène de David Meurice. Il l’utilise 8 heures par jour. (©actu Bordeaux / Juliette Cardinale)
Car l’errance médicale recommence cette fois pour monsieur. « Huit médecins sur dix me disaient que c’était psychologique », martèle le malade, vent debout contre « le mépris et la maltraitance » qu’il estime avoir subis de la part du corps médical.
Des douleurs intenables
Tous deux sont aujourd’hui diagnostiqués d’un Sama, et reconnus affection de longue durée (ALD). Mais si mettre un mot a permis un premier soulagement, la douleur et les traitements sont si lourds qu’ils sont régulièrement à bout.
C’est quoi le Sama ?
« On parle de syndrome d’activation mastocytaire lorsque certaines cellules du système immunitaire sont hyperactives et produisent des quantités anormalement élevées de substances liées à la réaction immunitaire », explique sante.fr le site du Service public d’information en santé. Ces substances peuvent être libérées par le contact avec « des allergènes, certains médicaments, l’effort, certains aliments, etc. » Le traitement inclut des médicaments antihistaminiques.
Sandra s’en sort un peu mieux que David. Son traitement qui a pas mal évolué agit sur ses douleurs. Mais elles ne disparaissent pas complètement et les rechutes sont terribles.
David, lui, a tâtonné dans ses traitements car il ne supportait pas les premiers antihistaminiques prescrits. Surtout, les douleurs restent terribles malgré la morphine. « L’autre nuit, je tapais sur le lit avec les jambes. J’étais irritable à un point extrême, je gémissais de douleurs » décrit David Meurice.
Un soir j’ai vu un reportage d’un soldat ukrainien qui venait de se faire amputer de la jambe. J’ai eu un sourire narquois et j’ai dit qu’il avait de la chance, au moins il n’avait plus mal.
David Meurice
Quand David raconte ça aux spécialistes de santé, qu’il leur dit vouloir d’arracher la jambe ou en finir, les professionnels lui parlent d’urgences psychiatriques. Comme l’explique un médecin contacté par actu Bordeaux : « On va traiter en premier l’urgence vitale la plus immédiate. S’il y a un risque suicidaire, on va essayer de l’éliminer ».
« C’est frustrant quand la douleur est méprisée et minimisée en permanence », témoigne de son côté David Meurice. « On n’a pas de recul sur le Covid long, ni même le Sama. Ce sont des maladies jeunes et méconnues », soupire Sandra Soulac. « Même les soignants sont rares à les connaître, ils ne sont pas assez formés et cherchent des explications psychologiques », affirme son compagnon.
« Je ne suis pas opposé aux psys : j’ai vu des médecins, des infirmiers, des sophrologues, etc. Mais quand je les vois on me dit que je suis courageux, qu’on ne peut rien pour moi comme la douleur est physique », soupire le trentenaire.
Comme l’explique David, quand il n’a pas de douleur physique, il est comme un enfant. Sandra aussi. « On chante, on s’amuse, on ne tient pas en place. » Mais c’est la minorité du temps. « J’ai été presque alité pendant deux ans. Je ne faisais plus rien. »
« La maladie nous a tout volé »
« La maladie nous a tout volé, je ne peux pas me projeter. Je me sens inutile, j’ai perdu ma dignité », témoigne l’homme qui n’avait auparavant « qu’une très faible tachycardie, sans traitement ».
À 36 et 40 ans, ils ne parlent pas de projets de bébé, d’achat de maison, de mariage ou d’évolution dans le travail. Les conversations sont plutôt autour des médicaments, de la douleur et même de leurs volontés pour les funérailles ou de suicide assisté.
Les protocoles médicaux en cas d’urgence sont su le frigo. (©actu Bordeaux / Juliette Cardinale)
David a perdu son emploi, pour s’occuper de Sandra d’abord. « Je partais certains matins la boule au ventre, en me demandant si j’allais la retrouver au sol. » Puis sa propre maladie l’a empêché de reprendre. De son côté, Sandra est en arrêt maladie. « Le médecin du travail préconise le télétravail, mais ce n’est pas possible avec mon employeur. Quand je vais sur site, je tombe malade très vite car mon système immunitaire est affaibli. » Un cercle vicieux.
« C’est un combat pour tout »
Malgré la fatigue chronique, il faut tout gérer. « On est à la fois malade et aidant. Celui qui est le moins malade va faire le plus de choses à ce moment-là », explique David. Ils n’ont « jamais aussi mal mangé », par manque d’énergie et parce que leurs systèmes digestifs n’acceptent plus autant de choses.
« C’est un combat constant », souligne le couple. Les rendez-vous fréquents chez les différents spécialistes pour renouveler les ordonnances, les passages réguliers aux urgences et appels à SOS Médecins quand l’un rechute. La douleur. Les mails et coups de téléphone incessants pour essayer d’obtenir un rendez-vous chez un spécialiste alors que les délais sont très longs.
Dans leu cuisine, David Meurice et Sandra Soulac ont leurs médicaments, piluliers et compléments alimentaires. (©actu Bordeaux / Juliette Cardinale)
« Les infirmiers et médecins sont à bout de souffle parce qu’on a fait des économies sur la santé et l’économie. Mais aujourd’hui je dois attendre le mois d’août pour avoir un rendez-vous dans un centre antidouleurs privé. Il n’y avait aucune disponibilité plus tôt. C’est impossible de laisser les gens souffrir », déplore David.
Sans compter les dossiers MDPH en attente de passer devant la commission. Ou les fois où il faut aller dans plusieurs pharmacies pour récupérer tous les médicaments prescrits et les compléments alimentaires.
C’est simple : ils ont dû revoir toute leur organisation, et tout optimiser. Leurs courses sont toujours livrées : « On ne sort jamais que pour une chose ». Dans leur cuisine, des piluliers sont prêts. Sur les ardoises, les prochains rendez-vous médicaux. Sur le frigo, les protocoles à respecter. Des boîtes de médicaments et de compléments alimentaires dans les placards. Une trousse à pharmacie et un compresseur d’oxygène portable les accompagnent partout.
Ce mode de vie et ce cadre « rigides » sont difficiles à assumer pour un couple qui avait l’habitude de partir en week-end ou à un concert sur un coup de tête.
La solitude
Toute sortie devient compliquée, ils ont perdu leurs amis et leurs familles se sont éloignées. Surtout qu’au début le couple n’ose pas se plaindre. « Ils pensaient que tout allait bien sauf quand on était invités à aller les voir, ils ne comprenaient pas », se souvient Sandra. Jusqu’à il y a environ six mois quand le ton monte, mais permet de crever l’abcès. Depuis, ils se sentent soutenus.
Le reste de la population est moins à l’écoute. « Il y a une volonté de passer à autre chose, d’oublier le Covid et de prendre une revanche. Mais nous, on ne peut pas, on vit avec. On est les laissés-pour-compte, les relous de service », estime David. Pourtant, on estime que deux millions de personnes présentaient une affection de Covid long fin 2022.
Et le regard des autres est pesant. David a souvent besoin d’une canne pour se déplacer et voit la différence flagrante de traitement. « On fait attention à moi, on me laisse passer. Quand je ne l’ai pas c’est autre chose ». D’ailleurs, Sandra doit souvent se justifier : « C’est cruel, le handicap invisible. »
Pou se soutenir, ils ont trouvé des renseignements, des conseils et une communauté via les réseaux sociaux et quelques associations. Depuis qu’il a décidé de parler, David Meurice reçoit de nombreux messages et appels d’autres personnes qui souffrent de Covid long et l’encouragent à faire connaître cette maladie.
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