« Qu’est-ce qu’a fait mon fils pour que vous vous en preniez à lui comme ça ? Pourquoi vous l’avez abattu ? Pourquoi ? » A la barre, la douleur d’une mère. Son voile serré sur ses cheveux, un masque chirurgical sur le visage, Mounira raconte son troisième fils, Mansour, au présent. « Il ne mérite pas comment il est mort. Il est joyeux, il est amusant, calme. »

Le jeune homme de 20 ans a été assassiné il y a bientôt quatre ans, le 2 janvier 2022, en bas de chez lui, sur la place de la victoire du 8 mai 1945 à Gentilly (Val-de-Marne). Cinq hommes âgés de 21 à 26 ans sont renvoyés pour assassinat devant la cour d’Assises du Val-de-Marne. Si certains ont reconnu leur présence, tous assurent ne pas avoir tiré. Ouvert depuis mardi matin, le procès doit s’achever jeudi prochain.

Un jeune homme souriant et sans histoire

« Mon fils est parti chercher du pain, et il n’est jamais revenu, poursuit sa mère. Depuis, c’est une vie difficile. J’ai perdu un fils qui était toujours à mes côtés, toujours. » De toute sa déposition, c’est la seule fois où elle parlera de son fils au passé.

« Il me manque », ajoute pudiquement son père, qui narre la myriade de matchs de football regardés à deux. « À la maison, c’est comme un cimetière maintenant. Il n’y a plus de joie. Le seul qui rigolait toujours, qui faisait le spectacle, c’était Mansour. »

Plus tôt, l’enquêtrice de personnalité a justement dressé le portrait de Mansour comme un jeune homme souriant, joyeux et sans histoire. Elle a surtout dépeint une famille soudée, émigrée de Tunisie quand le jeune homme, troisième d’une fratrie de cinq, n’avait pas encore un an. « C’était le petit clown de la famille, dit encore son grand frère, Mahdi. C’est lui qui rendait la famille heureuse. »

« Quand quelqu’un m’appelle maintenant, je suis en panique. J’ai la phobie de perdre de nouveau quelqu’un », confie à la cour la sœur de la victime, Mariem. Enceinte, elle s’est mariée en 2023. « C’était un beau moment, mais il me manquait une personne. C’est une douleur qui me suivra toujours. »

« Mon frère est mort dans mes bras »

Le soir de la mort de Mansour, alertée par un coup de fil, elle se rend sur place très rapidement. « Je suis arrivée en même temps que les pompiers. J’ai vu mon petit frère au sol, la bouche blanche, les yeux fixes. C’est une image qui me hante. »

C’est l’audition du cadet, Achraf, qui a permis à la cour de revenir plus précisément sur les faits. Il était avec son frère au moment de la seconde altercation. Quelques minutes auparavant, Mansour avait refusé d’être fouillé par l’un des dealers de la cité Victor-Hugo, causant un premier échange de coups.

« Il y a eu une première bagarre, une deuxième, et mon frère est mort dans mes bras. C’est tout », débute Achraf. Trop bref pour la Cour qui lui demandera moult précisions. « Ils nous ont dit qu’ils voulaient parler après la première altercation et c’est parti en bagarre. » À trois contre cinq, ils prennent bien plus de coups qu’ils ne peuvent en donner. « On pensait que les choses étaient terminées », dit le petit frère. Ils retournent donc se poser sur la place de la victoire.

Une heure plus tard, deux voitures arrivent en marche arrière. « J’entends deux coups de feu, alors je pars en courant mais j’entends que ça crie derrière moi. Je reviens, et je vois mon frère par terre. J’ai essayé de le réanimer, j’ai tout tenté, bouche-à-bouche, massage du cœur. Mais je ne suis pas médecin… »

On sent ses mots empêchés. « C’est une famille qui, malgré une douleur immense, reste très digne », commente leur conseil, Me. Laurence Mariani, parlant de « violence gratuite ». « Cette histoire, c’était il y a quatre ans. Mais pour moi, c’était il y a quatre jours », témoigne à la barre Achraf, présenté comme « le jumeau de Mansour » tant ils étaient proches. De l’avis de tous, il s’est depuis le drame enfermé dans une peine quasi mutique. « Mon petit frère, c’est plus le même qu’avant. Il était joyeux et maintenant, il est renfermé, il ne parle plus », confiera son aîné aux jurés.

« Je n’ai pas tué ton frère »

Mahdi sera le seul à s’adresser directement aux accusés, notamment à E., accusé d’être le tireur. Placé dans un département dédié aux détenus violents – un sort très rare conduisant à être menotté à chaque sortie de cellule – il avait regretté la veille ne pas avoir pu voir son frère depuis quatre ans. « Moi, tu m’as interdit de le voir toute ma vie ! Tu es accusé d’un truc où il y a un mort et tu dis ça. Moi j’aurais aimé que ça ne soit que quatre ans. »

« Je n’ai pas tué ton frère, réplique Bomaye, son surnom. J’ai participé à la bagarre, je participais au deal, mais je ne l’ai pas tué. » Le jeune homme tient sa ligne de défense, la même depuis le début du procès. Il lui reste cinq jours d’audience pour en convaincre les jurés, alors que les analyses ADN, la téléphonie et des témoins le désignent comme le meurtrier.