« On l’a vu débarquer très récemment à Grenoble ». Cette petite main de la politique grenobloise n’a découvert que récemment la personnalité d’Allan Brunon. « Je l’ai découvert lors de sa réunion de lancement de campagne dans la ville », souffle une ancienne élue de l’Isère. Pour l’ancien cadre LFI grenoblois Alan Confesson, Allan Brunon aurait « décidé soudainement de venir faire carrière à Grenoble, terre nettement plus favorable à la gauche », après plusieurs défaites sur le secteur de Villefontaine, plus près de Lyon.
Pourtant, l’ancien collaborateur parlementaire a bel et bien mis en avant ses origines grenobloises. Le 20 septembre dernier, ce jeune militant insoumis s’est dit « honoré » de devenir tête de liste à Grenoble afin de « porter une liste insoumise et citoyenne », lors d’une prise de parole à La Villeneuve, l’un des quartiers les plus chauds de la ville, où sa famille, « engagée dans la libération du peuple algérien », s’est « installée il y a 65 ans ». Un choix judicieux, tant dans ces quartiers, Mélenchon obtient des scores impressionnants à chaque élection. Un choix loin d’être anodin. Dans ce quartier, on y compte plus de points de deals que de bureaux de vote. Allan Brunon le sait.
Montée en puissance d’un apparatchik
Cheveu sombre. Petite barbe. Léger zézaiement et costume-cravate impeccable. Allan Brunon a 26 ans et s’est déjà fait une place dans la sphère Insoumise. Ce 4 novembre 2022, deux journalistes de Boulevard Voltaire tentent de couvrir la manifestation de soutien de la France Insoumise au député Carlos Mertens Bilongo. Devant le refus des cadres Insoumis de parler à ces journalistes, deux collaborateurs parlementaires les repoussent en usant de violence physique. Parmi eux, Brunon. Il était à l’époque le collaborateur du député de l’Isère Gabriel Amard. L’ancien maire de Viry-Chatillon par ailleurs conjoint de la fille de Jean-Luc Mélenchon a été victorieusement parachuté dans l’Isère en 2022 et a rapidement embauché Allan Brunon qui suivait quant à lui un cursus à Science Po Grenoble, sans pour autant s’investir politiquement dans la ville d’Éric Piolle.
Le jeune homme fait ses armes dans la galaxie Insoumise. Il se distingue par des tweets provocateurs, souvent injurieux. Alors que le RN rendait hommage à un militant dijonnais emporté par un cancer, celui qui travaillait déjà à l’Assemblée réagissait ainsi : « Il retrouvera en enfer ses idoles. Les Léon Gautier, les Pierre Bousquet et les autres Waffen-SS, fondateurs du RN. » Un message qui suscitera la colère des réseaux sociaux. Mais c’est tout ce qu’il espérait. Très proche de la députée de Grenoble Elisa Martin, elle-même très proche de Jean-Luc Mélenchon, Brunon gravit rapidement les marches de la très verticale France Insoumise. Candidat pour la Nupes dans une circonscription peu acquise, il échoue aux portes du second tour en juin 2022. Pendant la campagne présidentielle de 2022, il « entrera de force » (selon ses propres mots) dans la mairie de Charvieu-Chavagneux parce que son maire a reçu le candidat Eric Zemmour. Il sera poursuivi pour cela. Son avocat est d’ailleurs Me Rafik Chekkat, qui prend régulièrement la défense des Frères Musulmans.
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Peu importe. Il prend des fonctions nationales au sein du parti puisque il est « co-animateur du pôle antifasciste au sein de LFI ». Un espace dans lequel, il fait bon se lâcher. Sa co-animatrice, Imane El Hamzaoui avait déclaré en octobre dernier que l’identité française est une « identité sclérosée ». Brunon a par ailleurs affronté plusieurs procédures judiciaires en diffamation et injure publique. Soutien assidu de la Jeune Garde, mouvement autoproclamé antifasciste et surtout connu pour ses agressions et autres actions violentes, Brunon se met souvent en scène pratiquant divers arts martiaux comme le MMA ou le kick-boxing.
Pour parfaire le CV, il est même membre de l’ONED (l’Observatoire national de l’extrême droite), une coquille vide créée à l’initiative du député LFI Thomas Porte dont les proximités avec le Hamas ne sont plus à démontrer. Dans les faits, Brunon se construit une image de militant antifasciste. On le voit sur le terrain à plusieurs occasions. En février 2024, il manifestait contre une réunion publique du RN en Haute-Savoie. Mégaphone à la main, il invective les participants devant une bannière sobrement intitulée « On vous pendra ». En mai 2024, il débarque avec une demi-douzaine d’individus à une visite de Fabrice Leggeri au siège du RN marseillais. Des coups sont échangés. A Vienne en septembre 2024, il est encore à la tête de quelques dizaines de militant d’ultra-gauche venus perturber la minute de silence organisée par la députée UDR Hanane Mansouri en hommage à Philippine Le Noir de Calan, violée et assassinée par un Marocain sous OQTF. Visible. Omniprésent. Brunon est devenu un pro de l’agit-prop au sein des Insoumis. Une discipline théorisée et voulue par la direction. En bon élève, il se devait d’obtenir une récompense. Ce sera Grenoble.
Le communautarisme tranquille
Ce 13 juillet 2025, Allan Brunon pose tout sourire derrière un immense drapeau algérien. « Hier soir, quel bonheur d’avoir participé à la célébration du 5 juillet 1962, 63e anniversaire de l’indépendance de l’Algérie. Aujourd’hui plus que jamais, nous repensons au courage de celles et ceux qui ont donné leur vie pour détruire le colonialisme français en Algérie », s’enthousiasme-t-il. La scène se passe à Grenoble. Lors de sa conférence de presse de candidature, trônent derrière lui, bien visibles, des femmes voilées. Par ailleurs, la défense de l’islam fait partie de son ADN politique. En janvier 2025, le même Allan Brunon appuyait les propos du député Idir Boumerti qui accusait Bruno Retailleau de mener « une chasse aux musulmans ». La jeune tête de liste a appuyé les propos, dénonçant « une cabale [qui] a lieu contre les musulmans en France. Il faut être raciste pour ne pas le voir ». Ses publications sur X témoignent d’une certaine obsession. La défense de l’islam, la Palestine, la glorification de l’Algérie… En bref, la panoplie complète du jeune Insoumis.
En ce mois de novembre 2025, il assure que « la police municipale ne fera pas la chasse aux dealers ». Des propos qui ont choqué. Des propos qu’il assume toutefois en précisant que « à Grenoble, pas un policier municipal ne sera armé. Nous déploierons des médiateurs et des éducateurs dans la ville. C’est à l’État d’assurer ses missions, et à nous de soulager les souffrances du peuple par des mesures sociales et non répressives ». Une position qui tranche dans une ville gangrenée par la violence et le trafic de drogue. Une ligne qu’il s’applique à rendre cohérente mais qui ne masque pas le fond de sa stratégie. « Les quartiers populaires sont sa cible électorale. Pour ne pas dire son unique cible », cingle l’ancienne députée LREM Emilie Chalas.
Il est prêt à tout et cela pue.
Pour l’entourage d’Alain Carignon, c’est évidemment volontaire. « On n’est pas sur un excité radicalisé », juge-t-on dans le camp de la droite locale. « Il incarne publiquement la ligne fanatisée de LFI mais c’est un vrai calculateur qui dose sa communication », estime-t-on. Dans cette logique, il poursuit la drague communautaire en attaquant frontalement son adversaire Horizons Hervé Gerbi. Lors d’une réunion dans le quartier Teisseire, la photo de l’ancien président du Crif local figurait sur un jeu de massacre. Une initiative qui n’a pas été du gout d’Hervé Gerbi. « Ce choix c’est une façon de concevoir la politique. L’adversaire devient une cible. La confrontation d’idées se transforme en défouloir. On excite la colère, on met des visages à abattre à hauteur d’enfant », s’est ému le politique. En outre, ce dernier a été victime il y a un mois de menace de morts taguées dans les rues de Grenoble. Des menaces toutefois condamnées par Brunon…qui fait figurer son opposant sur un jeu de massacre un mois après. « Il est prêt à tout et cela pue », conclue Chalas. « Il agit presque en chiraquien : « Plus c’est gros plus ça passe », abonde Stéphane Gemmani. Ce cadre local socialiste, fondateur du Samu Social de Grenoble met en garde contre la stratégie « ouvertement clientéliste » du jeune Insoumis.
Mais tout cela n’est pas anodin. « La force de la gauche grenobloise est d’avoir rassemblé sous une même bannière les bobos de centre-ville et les quartiers populaires », analyse Gemmami. « En accaparant le vote de ces quartiers, Brunon préfère la stratégie du repli à celle de l’ouverture». Pour l’instant, les sondages lui créditent au moins 12% des voix. De quoi entrer au conseil municipale. Une campagne radicale mais pensée. Une campagne politiquement orientée contre la droite, « l’extrême droite » pour reprendre la terminologie insoumise, mais électoralement contre la gauche. A l’image de Paris, Marseille ou encore Besançon, les listes Insoumises ne sont pas radicales dans le but de combattre l’extrême droite (le RN est crédité de 8% à Grenoble), mais bien contre la gauche… Mais pour avoir une vue d’ensemble, mieux vaut être parachuté d’en haut.
Le temple de la gauche magouille
Avec Grenoble, la gauche tient un cas d’école de ses dysfonctionnements. Remportée par l’écologiste Eric Piolle en 2014, la ville vote très majoritairement à l’extrême gauche. Mélenchon y arrive en tête à chaque élection. En 2020, Piolle est réélu avec le soutien de toutes les forces de gauche hormis le Parti Socialiste, qui verra quelques dissidents rallier le maire Vert. La France Insoumise compte plusieurs élus dans l’équipe municipale dont notamment Elisa Martin qui siégea comme première adjointe du maire jusqu’à son élection à la députation en juin 2022 dans la circonscription grenobloise. A ses côtés, plusieurs Insoumis sont élus dont Alan Confesson. Mais en 2024, tout s’accélère. En juin 2024, après que Le Canard enchaîné a révélé qu’Éric Piolle aurait demandé à l’un de ses plus proches conseillers de rétrocéder une partie de son salaire à son ancienne première adjointe, le parquet de Grenoble ouvre une enquête visant les trois protagonistes de cette affaire pour « concussion » et « recel de concussion ». Elisa Martin est accusée d’avoir touché 400 euros, versés de la main à la main, par mois pendant trois ans et demi (16 800 euros au total), alors qu’elle était première adjointe du maire de Grenoble Éric Piolle. Ce dernier avait d’ores et déjà annoncé qu’il ne se représenterait pas en 2026.
Après de longues et pénibles tractations, Laurence Ruffin, sœur du député de la Somme François Ruffin, est désignée par les Ecologistes pour prendre la relève d’Éric Piolle. Voilà la gauche à nouveau unie ? C’était compter sans la nouvelle stratégie Insoumise. La ligne nationale impose de voir des listes LFI autonomes partout. Pourquoi ? « S’ils s’inscrivent dans une logique de prise de pouvoir, ils doivent avoir des groupes et des élus locaux », suppute Emilie Chalas, l’ancienne députée LREM de la circonscription, battue par Elisa Martin en 2022. C’est sans doute une partie de l’explication. Mais au niveau national, la France Insoumise a d’autres ambitions moins avouables. Plus question de jouer les roues de secours. A Aubervilliers, Mélenchon a salué les élections à venir comme une étape nécessaire à l’instauration de la VIe République et l’avènement de sa Nouvelle France. Dans ce contexte, plus question d’alliances et surtout pas avec les socialistes. Grenoble ne fera pas exception. « L’équipe qui se porte candidate n’a plus rien à voir avec celle de 2014 », tente de justifier Elisa Martin dans la presse locale.
Une décision Insoumise qui rencontrera de l’opposition interne. Au point qu’Alan Confesson, l’autre chef de file de LFI à Grenoble, claquera la porte de son parti pour rejoindre Laurence Ruffin. « Cette future liste insoumise sera constituée des éléments les plus sectaires et les plus vindicatifs de LFI », indiquera-t-il à la presse locale. Avant lui, la conseillère régionale Emilie Marche a été suspendue par la France Insoumise pour avoir qualifié l’action Insoumise à Grenoble comme « insensée ». Ambiance. Au fond, le jeu de massacre d’Allan Brunon dans le quartier Teisseire est tout indiqué. Sauf que pour l’instant, ses boules frappent essentiellement la gauche. Un breuvage que les héritiers d’Eric Piolle ne sont pas près d’oublier.