Il fallait faire quelques pas, hors de l’enceinte de l’Assemblée nationale, pour comprendre l’importance du texte examiné, jeudi 27 novembre, dans l’hémicycle. Alors qu’au palais Bourbon, La France insoumise s’apprêtait à faire examiner une proposition de loi pour nationaliser ArcelorMittal, devant les Invalides, près de 400 salariés de l’aciériste étaient rassemblés pour afficher leur soutien au texte. Et pour appeler les députés à les sauver : 637 postes sont menacés par un plan social qui plane sur huit des quarante sites d’ArcelorMittal France. Ils ont été entendus, le texte de LFI a été adopté par 127 voix contre 41. Il a reçu le soutien de la gauche (insoumis, socialistes, écologistes et communistes) et le RN s’est abstenu.
Dès la fin de la matinée, après avoir réussi à faire adopter les deux premiers textes mis à l’ordre du jour de leur niche parlementaire – une proposition de résolution contre le Mercosur et une proposition de loi pour établir «l’égalité d’accès au service postal en outre-mer»-, les députés insoumis sont allés rejoindre les ouvriers. Et chercher «de la force» auprès d’eux, selon l’élue de Seine-Saint-Denis Aurélie Trouvé. Pour les mélenchonistes, il en fallait effectivement avant de s’attaquer à la suite de l’ordre du jour, la nationalisation d’ArcelorMittal.
Déjà, sur le deuxième texte inscrit par les insoumis, le RN avait joué la carte de l’obstruction, laissant à peine quelques minutes aux députés pour voter avant la levée de séance de 13 heures. Les élus lepénistes et leurs alliés ciottistes de l’UDR ont poursuivi leur travail de sape de la niche LFI et déposé plus de 300 amendements sur le texte défendant la nationalisation de l’aciériste indien en France. Une stratégie qui aura fait tourner les débats à un match de ping-pong entre la gauche et l’extrême droite. Sans filet pour les séparer : les bancs du «bloc central», au milieu de l’hémicycle, sont restés vides toute la journée.
Les lepénistes et leurs alliés n’ont effectivement pas digéré le fait d’avoir échoué à faire adopter les textes que le RN avait mis à l’ordre du jour lors de niche, mi-octobre, à l’exception d’une résolution contre l’accord franco-algérien de 1968. Œil pour œil, dent pour dent. «LFI pourrit les niches de l’UDR et du RN… On pourrit votre niche parlementaire», avait assumé l’élu d’extrême droite Matthias Renault quelques jours plus tôt.
Les élus RN ont ainsi également demandé des scrutins publics et enchaîné les rappels au règlement pour retarder le vote du texte et empêcher l’examen des autres propositions mises à l’ordre du jour par les insoumis. Quitte à rompre avec la prétendue défense des ouvriers portée en étendard par le parti de Marine Le Pen. «Ce qui est pourri ce sont vos manœuvres sur le dos des ouvriers d’Arcelor», lui a répondu le député LFI Laurent Alexandre dans l’hémicycle.
Comme l’Aveyronnais, le reste des élus de gauche n’aura eu de cesse, tout au long de l’examen du texte, de dénoncer l’hypocrisie du Rassemblement national. Le chef des députés communistes Stéphane Peu relevant ainsi une «pitoyable stratégie d’obstruction qui ne trompe personne», démontrant selon lui, que «l’extrême droite devient le chouchou des multinationales». Quelques minutes plus tôt, l’insoumis Aurélien Le Coq avait considéré que le RN «[plantait] un poignard dans le dos des ouvriers» et lancé : «C’est sous le regard de tous les sidérurgistes de France que nous voterons aujourd’hui».
Aux alentours de 19 heures, la métaphore est devenue réalité quand une petite délégation de salariés de l’aciériste est arrivée pour assister aux dernières heures du débat. Déclenchant un violent échange entre les députés LFI et ceux du RN. «Regardez-les dans les yeux, des vies sont en jeu», lançait un insoumis aux seconds.
Et le député du Nord de lister l’ensemble des sites d’ArcelorMittal menacés par le plan social et situés dans les circonscriptions détenues par les élus lepénistes. «Ennemis assurés des métallos», selon lui. A l’instar de Desvres dans le Pas-de-Calais où est élue Christine Engrand, de Montataire dans l’Oise, sur le territoire d’Alexandre Sabatou, et de Fos-sur-Mer dans les Bouches-du-Rhône chez Emmanuel Fouquart. Cité également, le député de Moselle où se trouvent les sites de Gandrange, Florange et Uckange, le porte-parole du RN Laurent Jacobelli.
Mais ce dernier s’est défendu de faire de l’obstruction et a assuré vouloir améliorer un texte, selon lui, «écrit avec les pieds». La députée RN de Gironde Edwige Diaz jurant également que sa formation ne faisait que «déposer des amendements de bon sens». Dans les couloirs de l’Assemblée, un cadre du parti à la flamme rassurait cependant : «si on voit que le temps manque, on avancera intelligemment». Comprendre : en retirant les derniers amendements à examiner pour pouvoir procéder au vote avant minuit.
A 22 heures, face au risque de ne pas pouvoir faire voter le texte avant minuit, l’insoumis Éric Coquerel en a appelé «à la responsabilité de tous ceux qui veulent faire en sorte que les salariés d’Arcelor présents dans les tribunes en partent avec un espoir». Se voulant maître des horloges, «il y aura un vote mais pour l’instant nous débattons», lui a répondu le vice-président du RN Sébastien Chenu. Les députés ont finalement terminé l’examen des amendements, une quarantaine de minutes avant qu’il ne soit trop tard, et pu voter la proposition de loi.
Les élus LFI ont pu laisser exploser leur joie. Elle sera certainement de courte durée : à majorité de droite, le Sénat n’a pas l’intention de mettre ce texte à son ordre du jour. Le gouvernement non plus : dans un message poste sur le réseau social Bluesky, le ministre de l’Economie et des Finances, Roland Lescure, a dénoncé « la pseudo-alliance officieuse, opportuniste et contre-nature de LFI et du RN [qui] ne réglera en rien les enjeux de concurrence déloyale qui déstabilisent l’entreprise ». « La France a besoin d’un cap industriel clair, pas d’une prétendue formule magique que serait la nationalisation », a-t-il ajouté, promettant de «continuer à [s’]opposer à la nationalisation d’ArcelorMittal dans la suite du processus législatif, tout en œuvrant à apporter des réponses structurelles à cette entreprise et à ses salariés».
Avant lui, son ministre délégué à l’Industrie Sébastien Martin avait déclaré à l’AFP après le vote jeudi soir que celui-ci « ne répond[ait] en rien aux véritables difficultés de la sidérurgie française » et « crée[rait] », selon lui, « l’illusion d’une protection». Vendredi matin sur RTL, le ministre du Travail Jean-Pierre Farandou a, de son côté, pointé « le véritable enjeu » concernant ArcelorMittal : « se battre contre les importations massives d’acier chinois, c’est un débat au niveau européen, c’est là où l’on met le poids du corps.» A condition que celui de la France pèse davantage.
Mise à jour à 9 h 14 avec les réactions de membres du gouvernement.