Par

Dorine Goth

Publié le

28 nov. 2025 à 20h41

« On parle de la BNP, mais il ne faut pas oublier qu’avant les entreprises, il y a des gens qui vivent ici », rappelle Véronique. Il y a douze ans, cette habitante du quartier Rosa Parks dans le 19e arrondissement de Paris emménageait dans son appartement qui donne directement sur la forêt linéaire. Un nom bucolique pour désigner la langue d’espace vert qui jouxte le parc d’activité Le Millénaire et le canal de Saint-Denis. « On nous avait vendu le nouveau Bercy, avec des entreprises de standing, des logements, des espaces verts. Quand on a emménagé, on y croyait », se remémore cette mère de deux enfants. Sauf que depuis 2022 et le démantèlement de la scène de crack du square Forceval porte de la Villette, les consommateurs se sont massivement rabattus sur Rosa Parks.

BNP et Leroy Merlin fuient le quartier

L’ambiance anxiogène finit par dépasser les seuls habitants. Dans un quartier au bord de l’implosion, la BNP annonçait mi-novembre le retrait de ses 2000 salariés pour recentrer ses activités de bureau dans les Hauts-de-Seine. Dans la foulée, Leroy Merlin prenait la décision de fermer son magasin de la zone commerciale.

Au téléphone, Véronique résume, vendredi 28 novembre 2025, le sentiment de nombre d’habitants du quartier : « Tout le monde part et nous, on nous abandonne. » Dans un communiqué publié à la suite de l’annonce du départ de la BNP, le maire François Dagnaud reconnaissait la « lente dégringolade d’un quartier récent et pourtant plein d’atouts ».

Pour ne pas se faire oublier, une manifestation était organisée, ce jour-là, devant l’école Cesária Evora sur le boulevard Mc Donald. Équipés de casseroles, flûtes et tambours, parents, enfants et voisins ont crié leur colère dans un vacarme assourdissant. « Ça fait des années qu’on nous balade. Maintenant, on veut des solutions concrètes », appelle un habitant dans un mégaphone.

« Prisonniers chez nous »

Anaïs, maman d’élève à l’école, tape sur un couvercle avec une cuillère en bois. Ces deux dernières années, elle n’a pu que constater la déliquescence du quartier. « On emmène nos enfants à l’école et ce qu’ils voient ce sont des gens qui prennent de la drogue ou qui traînent les fesses à l’air. Et ces derniers temps, ils sont de plus en plus agressifs dans leur mendicité », présente la jeune femme.

Le 18 novembre, une mère d’élève était violemment agressée à la sortie de l’école par un consommateur. Véronique abonde : « Il est hors de question de laisser ma fille aller au collège seule ». Une stratégie, partagée par Anaïs. « Certains parents continuent d’accompagner leurs enfants alors qu’ils sont en 3e ».

Elle-même refuse de sortir de chez elle la nuit tombée. « Je suis prisonnière de chez moi. » Quant à inviter des amis, ça fait bien longtemps que ça n’est plus arrivé. « Je n’ai pas envie qu’ils se fassent agresser. J’ai honte d’habiter là », résume-t-elle. Dans les immeubles, les habitants vivent au rythme des intrusions. « Ma fille n’ose même pas prendre l’ascenseur seule de peur de se retrouver nez à nez avec un tox’ », rapporte Véronique.

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Près de la station de tramway du Canal-Saint-Denis et de l'école Cesaria Evora, un consommateur de crack allongé sur le sol.
Près de la station de tramway du Canal-Saint-Denis et de l’école Cesaria Evora, un consommateur de crack allongé sur le sol. (©AG/ actu Paris)Chute de l’immobilier

Un climat qui pèse jusque sur l’attractivité du quartier. Les prix de l’immobilier ont dévissé avec une chute de 19,4 % en cinq ans, selon Meilleurs agents. En février 2025, un appartement de 76 m² situé à l’angle du boulevard Mc Donald et du canal était vendu 422 000 euros. Soit 5 552 euros au m², bien en dessous de la moyenne de l’arrondissement située 7 430 euros. Sur les sites des agences immobilières, les mêmes appartements sont proposés à la location depuis plusieurs mois. « Si je pouvais, je déménagerai », lâche Véronique, locataire chez la RIVP.

Sur le terrain, les policiers en patrouille peinent à déloger les consommateurs. Suivant les heures de la journée, ils peuvent être jusqu’à une cinquantaine à se réunir sous le pont du périphérique pour consommer, avant de s’éparpiller dans les rues adjacentes. Un poste de police est pourtant situé à quelques mètres, de l’autre côté du canal.

Un plan crack qui peine à porter ses fruits

En février 2025, les autorités dressaient pourtant un « bilan positif » de la deuxième phase du plan crack, destiné à améliorer la prise en charge des consommateurs et apaiser l’espace public. « La présence continue des forces de l’ordre […] a permis d’empêcher toute réimplantation ou relocalisation d’une scène d’ampleur comme Forceval », avançaient les autorités dans un communiqué.

Selon les chiffres communiqués, 1 141 trafiquants ont été interpellés et 23 cuisines démantelées en 2024. Parallèlement, l’État et la Ville ont renforcé les dispositifs médico-sociaux, dont l’espace de repos de la porte de la Chapelle, désormais ouvert 7 jours sur 7, et trois nouvelles structures d’accueil. « Ils peuvent faire tous les plans qu’ils veulent, la réalité c’est qu’on n’est pas en sécurité chez nous tant qu’il y aura des consommateurs », répond Véronique.

Du côté des entreprises, on mise sur la sécurité privée. Celles du parc Icade du Millénaire, dans lequel on trouve une annexe du ministère de la Justice, financent l’emploi d’une vingtaine d’agents de sécurité pour qu’une présence soit assurée entre la gare de RER E et les bureaux du soir au matin. Une navette est également mise en place pour assurer le trajet de 800 m. « Mais nous les habitants, on a quoi ? », souffle Véronique. 

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