Les ministres et hauts représentants des 23 États membres, des membres associés et des États coopérants de l’Agence spatiale européenne (ESA), se sont réunis en Conseil à Brême, en Allemagne, et ont approuvé un budget de 22,1 milliards d’euros pour la période 2026-2028. Ce montant représente une augmentation de 32 % par rapport au précédent budget (17 % si l’on prend en compte l’inflation).

Si ce montant impressionnant met en évidence des avancées significatives dans certains domaines, il suscite également des inquiétudes quant à l’avenir de l’exploration spatiale en Europe.

Succès pour l’observation de la Terre

Dans un contexte mondial marqué par le changement climatique, les tensions géopolitiques et les crises humanitaires, l’importance de l’observation de la Terre est plus cruciale que jamais, d’autant plus que l’Europe possède le plus grand nombre de satellites dédiés à cette mission. Ce nouveau budget, avec une augmentation substantielle à 3,602 milliards d’euros, traduit concrètement cette réalité face à une situation incertaine.

Par ailleurs, les États membres de l’ESA ont clairement autorisé l’utilisation d’applications spatiales à des fins de défense non offensive, marquant un tournant historique pour l’Agence, qui a toujours privilégié une utilisation civile et pacifique de l’espace. Ce changement s’est matérialisé par le lancement du programme European Resilience from Space (ERS-EO), qui se compose d’un système de capacités en observation de la Terre, de connectivité et navigation, répondant aux enjeux de souveraineté spatiale.

Le saviez-vous

Le programme d’observation de la Terre de l’Europe constitue un atout stratégique majeur, car il réduit progressivement, voire élimine dans certaines situations, sa dépendance aux services commerciaux et aux États étrangers pour l’accès aux données. De plus, il permet la mise en œuvre d’opérations, en toute autonomie, de type « tip & cue », qui facilitent la coordination automatique du suivi d’objets entre différents satellites d’imagerie et de reconnaissance en temps réel ou quasi réel.

Comme l’explique Simonetta Cheli, directrice des programmes d’Observation de la Terre, ERS-EO a pour objectif « de déployer d’ici 2030 un système d’observation terrestre dual, intégrant des applications civiles et militaires afin de renforcer la résilience européenne face aux crises et menaces, tout en garantissant un accès autonome à l’imagerie satellitaire pour des besoins tels que la surveillance des frontières, la gestion de crise et la protection des sites et infrastructures sensibles ».

Nous aurons prochainement l’occasion de détailler les annonces relatives à l’ensemble du programme d’observation de la Terre de l’ESA.

Manque d’ambition dans l’exploration

Dans le domaine de l’exploration et des vols habités, la situation est bien moins favorable. Ce budget acte un manque d’ambition plutôt surprenant, alors qu’un certain consensus politique semblait se dessiner autour d’une Europe autonome et proactive. Une telle orientation aurait permis à l’Europe de s’affirmer comme un acteur essentiel sur la scène internationale.

Concrètement, l’ESA a réussi à obtenir seulement 2,976 milliards d’euros sur les 3,773 milliards d’euros demandés pour réaliser et concrétiser ses ambitions amorcées en 2019 et réaffirmées en 2022 lors des deux précédentes réunions ministérielles du Conseil de l’ESA. Avec un manque de près de 800 millions d’euros, cette stagnation budgétaire tend vers un tournant préoccupant, qui compromet l’objectif d’une autonomie européenne en matière de vol habité, une ambition pourtant clairement affichée. Face à la domination américaine et aux avancées remarquables de pays comme la Chine et l’Inde, l’absence de décisions et d’orientations claires pourrait conduire à une marginalisation de l’Europe.

Face à la domination américaine et aux avancées remarquables de pays comme la Chine et l’Inde, l’absence de décisions et d’orientations claires pourrait conduire à une marginalisation de l’Europe

En conséquence, des arbitrages devront être réalisés, ce qui entraînera inévitablement des retards, des reports ou même des annulations de certains programmes. C’est le cas des modules I-Hab, dont le développement sera ralenti, ainsi qu’Esprit, qui risque d’être abandonné. Ces deux projets représentent pourtant des engagements forts pour l’Europe dans le cadre du Gateway de la Nasa. Dans ce contexte, il est difficile d’imaginer comment un Européen pourrait un jour marcher sur la Lune.

Vue d'artiste d'une partie de la station spatiale d'Axiom, dont les modules sont construits par Thales Alenia Space. © Axiom Space

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Coopération ou autonomie ? les enjeux de l’Europe dans l’ère post-ISS

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Cela dit, tout n’est pas noir. Deux programmes essentiels pour garantir l’indépendance européenne sont bel et bien financés. Il s’agit d’Argonaut, un atterrisseur lunaire de grande capacité prévu pour 2030, qui assurera un accès logistique autonome à la Lune, un atout stratégique dans la nouvelle course à l’espace entre les États-Unis et la Chine. L’autre programme est Leo Cargo Return, un service de retour de fret depuis l’orbite basse, qui comptera deux missions de démonstration. Au moins l’une d’entre elles visera à s’amarrer à l’ISS avant sa désorbitation prévue en janvier 2031. Ces capsules réutilisables, développées par deux entreprises privées, sont capables de transporter 4 tonnes de fret et de revenir sur Terre avec 2 tonnes. Elles intègrent dès leur conception les contraintes des véhicules habités, garantissant ainsi leur future adaptabilité pour des missions avec équipage.

Parmi les rares bonnes nouvelles, ce budget permettra de financer une, voire deux missions d’observation de la Lune, d’un coût compris entre 80 et 100 millions d’euros. Ces missions auront des objectifs uniques, tels que la création de modèles numériques de terrain, la mesure des radiations, la localisation précise des réserves d’eau, ainsi que le recensement des ressources lunaires. Ces missions, si elles sont suivies d’effets, pourraient jouer un rôle clé dans l’avenir de l’exploration lunaire et renforcer les capacités européennes dans ce domaine. Plus d’informations sont à venir d’ici la fin du mois de décembre.

Des ambitions martiennes à confirmer

Concernant l’exploration martienne, la mission Rosalind Franklin, qui vise à déployer un rover sur Mars, bénéficie d’un financement qui permet d’envisager un lancement en 2028, avec un lanceur et des rétrofusées fournis par la Nasa pour l’atterrissage. Suite à l’annulation par la Nasa de la mission de retour d’échantillons martiens, l’ESA a décidé de ne pas abandonner le satellite ERO, qui était initialement prévu pour récupérer les échantillons en orbite et les ramener sur Terre. Au lieu de cela, ERO sera réaffecté à d’autres missions, servant de véhicule pour transporter des instruments scientifiques et des dispositifs de communication en orbite haute et basse autour de Mars.

La première mission envisagée dans ce cadre est ZefERO, qui pourrait être lancée en 2032. Cette mission aurait pour objectifs d’étudier les vents martiens et la géologie de la planète, tout en servant de relais de communication. De plus, les ministres ont approuvé deux études complémentaires : LightShip, qui pourrait déployer un petit orbiteur à seulement 300 kilomètres d’altitude au-dessus de Mars, équipé d’une charge utile scientifique, et un atterrisseur destiné à succéder au rover Rosalind Franklin dans le cadre du programme ExoMars.