Au-delà d’un retour aux sources, c’est le retour de la source elle-même. À côté de Strasbourg, en cette période de lancement des bières de Noël 2025, la Brasserie de Schilick ressuscite l’indétrônable et iconique Schutzenberger de Noël. L’occasion de revenir sur l’histoire de cette tradition !
Début novembre, les professionnel(le)s alsacien(ne)s du secteur brassicole présentaient 15 bières de Noël 2025 en grande pompe à l’hôtel de ville strasbourgeois. Il faut dire que le territoire a de quoi être fier : l’Alsace, c’est tout de même la première région française en termes de production brassicole avec environ 110 brasseries dénombrées début 2025. Et ça fait longtemps qu’on aime ce breuvage !
© Coraline Lafon / Pokaa
Sous Charlemagne déjà, on brasse dans les abbayes de Strasbourg, Wissembourg et Pfaffenhoffen. Au 13e siècle, la première brasserie « civile » s’installe dans l’actuelle impasse de la Bière, à deux pas de la cathédrale de Strasbourg.
Alors oui, la bière et l’Alsace, c’est une véritable histoire de transmission, de savoir-faire et de traditions bien vivantes… Et la nouvelle production annuelle de bières de Noël en est la preuve.
De la tradition à l’oubli
La bière de Noël, c’est d’abord une histoire de tradition, même si elle n’est pas forcément originaire d’Alsace à la base – on ne peut pas non plus s’attribuer tous les lauriers. Un peu partout en Europe, on trouve ce genre de productions hivernales. Par exemple, les Anglo-Saxons ont la Christmas Ale, les Flamands la Kerstbier.
Historiquement, il s’agit du brassin fait lors de la reprise du brassage, en octobre, selon le calendrier brassicole. Le temps que tout ça fermente, la bière sort des cuves vers le solstice d’hiver… vers Noël, quoi. Il est alors courant de voir les brasseurs/ses offrir cette bière, telle une étrenne, à leurs employé(e)s ainsi qu’à une poignée de leurs meilleur(e)s client(e)s.
© Wilfried Rion / Pokaa
Bref, cette tradition brassicole est bel et bien (et très tôt) synonyme de partage, de petites attentions et de convivialité ! Sauf que comme beaucoup de traditions, celle-ci tombe dans l’oubli. En France, au 20e siècle, les bières de Noël sont plus qu’anecdotiques. Jusqu’au jour où une Schilikoise décide de tout bousculer.
© Brasserie de Schilick / Document remis
Madame Muller et son maitre brasseur
Rina Muller est alors à la tête de la brasserie Schutzenberger, implantée à Schiltigheim depuis le 19e siècle. Grande dame dans un monde essentiellement masculin, elle devient rapidement tout aussi incontournable que l’entreprise qu’elle dirige. Lorsque les gens du secteur en parlent, encore aujourd’hui, son prénom passe souvent à la trappe et c’est par un respectueux « Madame Muller » qu’on évoque la visionnaire – qui prendra ensuite la tête des Brasseurs d’Alsace.
Madame Muller, donc, est également une fine connaisseuse des traditions. Elle décide de s’en inspirer pour lancer une Schutzenberger de Noël. Nous sommes en 1985, c’est le renouveau de cette coutume oubliée.
La patronne est bien entourée : à ses côtés, le maitre-brasseur de Schutzenberger, Albert Gass, travaille à une recette originale. Il développe une bière ambrée avec de subtils ajouts d’épices. Une légèreté caractéristique, des arômes d’orange amère : Noël s’invite dans le nez et en bouche à peine la capsule sautée.
Ancienne brasserie Schutzenberger fermée en 2006, Schiltigheim. © Niko67000 – Licence CC / Captures d’écran
Rapidement, les brasseurs/ses français(es) constatent le coup de maître et, à l’instar de la bière de mars, ils et elles se lancent également dans la bière de Noël. Le but : animer le marché, surtout sur une période hivernale cruciale. Dès les années 90, le secteur brassicole français, mené par les mastodontes que l’on connait, a entièrement renoué avec cette tradition.
Les bières de Noël sont aujourd’hui variées. On en trouve des plus ou moins épicées ou amères, douces, sucrées ou fortes. Là où celles du Nord sont généralement plus fortes en alcool, les bières alsaciennes jouent davantage sur les épices.
Au-delà du coup marketing initial, l’arrivée des bières de Noël est aujourd’hui un moment incontournable du monde brassicole. Génial prétexte à la créativité, le rendez-vous stimule chaque année les acteurs du secteur.
Et l’Alsace, terre de bières s’il en fallait une, brille par la multitude des créations de ses artisan(e)s. À chacun(e) sa recette, sa petite étiquette sympa, sa contribution à l’imagerie de Noël par le savoir-faire et le terroir.
© Wilfried Rion / Pokaa
Faire renaître des souvenirs avec la Schutzenberger de Noël
Et à l’hôtel de ville, lors d’une soirée de début novembre, une bière se fait particulièrement remarquer. Tout pile 40 ans après le succès de Rina Muller et Albert Gass, la bière de Noël Schutzenberger fait son grand retour. On ne l’avait plus produite depuis 2006.
« Il a fallu qu’on travaille sur les recettes […], on a beaucoup échangé avec des anciens de chez Schutzenberger », explique Christian Geissmann. L’ancien compagnon de route de Michel Debus était à la tête de Storig depuis plusieurs années lorsqu’il décide, début 2025, de lancer la Brasserie de Schilick et de racheter la marque Schutzenberger.
Presque 20 ans après la fermeture de Schutzenberger, presque 10 ans après le décès de Marie-Lorraine Müller (qui rêvait de relancer la production), c’est donc la Brasserie de Schilick qui reprend le flambeau : « Le hasard de la vie a fait que le premier maitre-brasseur de Storig, c’était Albert Gass. Donc on se retrouve un peu dans cette belle histoire. »
© Brasserie de Schilick / Document remis
Après avoir ressuscité la Jubilator, la bière incontournable de toute une génération, Christian Geissmann et ses brasseurs se sont lancés dans l’aventure de la bière de Noël, non sans pression : « Il y avait plusieurs caractéristiques qu’il était impératif de mettre en avant. »
Le patron prend le temps de décrire l’attention toute particulière portée sur l’exigence de fidélité à la recette initiale. Degré d’alcool, légèreté caractéristique, robe ambrée aux reflets noirs et dorés, notes de pain d’épice… Rien n’est laissé au hasard.
Le grand retour de la Jubilator et de la bière de Noël a pour l’instant été salué par les « ancien(ne)s », dont les bières Schutzenberger avaient marqué la jeunesse. Un enthousiasme qui ravit Christian Geissmann, résolu à faire grandir sa brasserie (le prochain objectif étant un plus gros site à Schiltigheim) et qui se tourne désormais vers d’autres figures de la marque au centaure.
© Brasserie de Schilick / Document remis
On nous glisse ainsi à l’oreille le retour prochain de la Patriator (pendant ambré de la Jubilator), la Tütz (bière blanche légère), et même de la tout aussi incontournable bière de mars. Si le gérant tempère en rappelant la nécessité de « plusieurs mois de travail, pour ne pas sortir n’importe quoi », il conclut cependant d’un ton assuré : « L’histoire n’est qu’à son début. »
L’édition 2025 des bières de Noël, présentée par les Brasseurs d’Alsace, comporte 15 brasseries :
Bendorf, Brasserie du Pays Welche, Brasserie de Schilick, Brasserie Taal, Brasserie du Vignoble, Heineken, Kronenbourg, La Fondation, La Mercière, Licorne, Meteor, Perle, Saint-Pierre, Suff’Bier, Uberach