COMMERCE EN LIGNE

Shein, Temu, Alibaba et les autres… les plateformes chinoises entrent en force dans l’Union européenne pour compenser les pertes de marchés aux États-Unis. Paris menace, Bruxelles s’inquiète, mais les nouveaux venus séduisent les consommateurs.

Les logos des applications de shopping chinoises AliExpress, Temu, Taobao et Shein sur l’écran d’un smartphone, le 24 avril 2025. (Photo Kirill Kudriavtsev / AFP)

Les tribulations de Shein en France ne sont que la partie émergée de l’iceberg chinois dans le commerce européen, et singulièrement français. Pour les opérateurs asiatiques, le jeu en vaut la chandelle notamment sur le Net : le marché du e-commerce dans l’UE a atteint en 2023 près de 890 milliards d’euros, dont les deux tiers pour l’Europe de l’Ouest, indique la Fédération et e-commerce et de la vente à distance. La même année, pour le seul marché français, les ventes en lignes atteignaient 160 milliards d’euros, triplant en vingt ans. Trop tentant, pour des plateformes comme Shein, AliExpress (filiale d’Alibaba) ou Temu (groupe Pinduoduo). Paris réagit : en cherchant à bloquer l’activité de la plateforme Shein à cause de la diffusion de produits illicites, le gouvernement français envoie un avertissement à l’ensemble des plateformes chinoises dont la déferlante surfe sur une concurrence déloyale. Mais c’est à l’échelle européenne que le phénomène doit être considéré. D’ailleurs Temu est, elle aussi, sous le coup d’une enquête de la Commission européenne à cause d’une suspicion de non-respect des normes des produits proposés à la vente.

Un autre évènement montre que l’Europe est la bonne échelle pour appréhender la situation. Pour son retour dans l’UE, le géant chinois JD.com (groupe Jingdong) est en passe d’acquérir le distributeur allemand de produits électroniques Ceconomy, lui-même propriétaire de plus de 20% de Fnac Darty. Problème : le célèbre « agitateur culturel » fondé par Max Théret en 1954 et qui se diversifia dans la littérature vingt ans plus tard, est devenu un acteur culturel de premier plan en France. A ce titre, l’arrivée d’un actionnaire chinois à ce niveau de participation, via une OPA en Allemagne, est scrutée de près par le ministère de l’Économie même si, à ce stade de l’opération, le nouveau venu n’est pas censé siéger au conseil d’administration. Mais JD.com œuvrant en coulisse pour concurrencer Amazon en Europe, selon les révélations du journal Le Monde, les libraires indépendants sont fondées à craindre pour leur part de marché du livre, déjà réduite à 24% malgré la politique du prix unique du livre, à cause de la pression déjà exercée par Amazon, la Fnac et les grandes surfaces commerciales.

La poussée chinoise s’exerce dans tous les secteurs en Europe notamment depuis les mesures de coercition prises par l’administration Trump contre les importations aux Etats-Unis. Dans ce contexte, les ventes de produits textiles chinois ont été réorientées et ont progressé de 20% dans l’UE au premier semestre 2025. De sorte qu’à l’échelle française, la taxe de 2 euros sur les petits colis de provenance extra-européenne, votée par l’Assemblée nationale, risque d’avoir sur les fils du dragon l’effet d’une chiquenaude.

La poussée est trop forte. Elle est d’ailleurs globale. LeJournal.info a déjà décrit les rapports de force dans l’acier en faveur de la Chine qui produit à elle seule la moitié du total mondial, déstabilisant les producteurs européens comme Arcelor Mittal malgré une réaction trop tardive de Bruxelles réduisant en octobre les quotas d’importation et doublant les droits de douane. Même domination chinoise dans les automobiles électriques, les panneaux photovoltaïques et les batteries, mais aussi les médicaments, les équipements ménagers, les composants électroniques… et maintenant dans le commerce en ligne. Sur un an, indique Les Échos, l’excédent commercial chinois en Europe a dépassé 300 milliards de dollars, dont 50 milliards pour la France. Et les débouchés des opérateurs chinois dans l’UE ont été pour la première fois supérieurs à leurs ventes aux Etats-Unis. Un tournant décisif.