Éclaboussé par le vaste scandale de corruption qui touche le secteur énergétique ukrainien, le puissant chef du cabinet de Volodymyr Zelensky a démissionné, vendredi 28 novembre. Dans la matinée, les autorités anti-corruption avaient mené des perquisitions dans son bureau. Considéré comme le personnage le plus influent du pays, Andriy Iermak était de plus en plus contesté, y compris dans le camp présidentiel.

Ses détracteurs l’avaient affublé de nombreux surnoms : « L’autre président », « le vice-président officieux », « l’éminence grise » ou plutôt « ​​​​​​​l’éminence verte » de Volodymyr Zelensky, dont le nom de famille partage une racine commune avec le mot « vert » en ukrainien. Vert aussi parce que le bras droit du président ukrainien porte souvent des tenues paramilitaires de cette couleur. Pour Volodymyr Zelensky, qui n’avait aucune expérience politique avant d’accéder à la fonction suprême, Andriy Iermak « ​​​​​​​était une sorte de chambellan, qui rendait sa vie confortable, selon le politologue Oleksii Holobutskyi. Il n’a pas vraiment de vie privée, pas de famille et il passe tout son temps libre avec le président, à traiter les questions d’État ». 

Le Financial Times a révélé que, depuis le début de la guerre déclarée par la Russie, les deux hommes passaient beaucoup de temps ensemble et qu’il leur arrivait même de dormir côte à côte dans le bunker présidentiel. Figure polarisante, irritante, Andriy Iermak s’est attiré les critiques d’une partie des élites politiques et économiques pour avoir concentré trop de pouvoir entre ses mains, quand d’autres le décrivaient comme un pilier de stabilité du gouvernement. Les sondages indiquent qu’il figure parmi les personnalités politiques les moins dignes de confiance aux yeux des Ukrainiens.

« Andriy Iermak a placé ses protégés à tous les postes clés de l’appareil d’État. Il a façonné aussi, dans une large mesure, l’espace informationnel autour du président Zelensky, affirme Olena Prokopenko, chercheuse au German Marshall Fund. Bien qu’il ne prenne pas formellement les décisions à la place du président, il a construit l’infrastructure du processus décisionnel, de manière à l’entourer d’avis provenant des ministres, des députés et d’autres acteurs clés alignés sur ses positions. En ce sens, on peut dire qu’il était de facto l’un des principaux décideurs du pays, au même titre que le président ». Andriy Iermak exerçait aussi un contrôle sur les canaux diplomatiques et sur les informations que Kiev échangeait avec les capitales occidentales.

Figure incontournable 

L’amitié entre le président et son actuel bras droit remonte à 2011. Les deux hommes se sont rencontrés sur un plateau de tournage. Volodymyr Zelensky était alors un acteur et comique populaire, Andriy Iermak, était lui un juriste et avocat évoluant dans la production de cinéma. Lorsque l’homme de télévision devient chef de l’État, il travaille d’abord comme conseiller, avant de prendre la tête de son administration présidentielle en 2020, passant du statut de quasi inconnu à une figure incontournable de la politique ukrainienne.

Il a orchestré la mise à l’écart de son prédécesseur Andriy Bohdan, premier chef de l’administration présidentielle. Puis, une fois nommé à ce poste, « ​​​​​​​il s’est assuré d’être le seul en qui le président Zelensky a confiance et qu’il considère comme son confident, souligne Olena Prokopenko. Andriy Iermak a remplacé toutes les institutions clés du gouvernement ukrainien par sa propre personne. De ce fait, il est devenu celui qui coordonne toutes les prises de décisions dans le pays ». L’an dernier, le magazine Time l’a classé parmi les 100 personnes les plus influentes du monde.

Contesté en Ukraine, le quinquagénaire à la carrure large et lourde s’est retrouvé dans le viseur depuis l’éclatement du vaste scandale de corruption touchant au secteur énergétique ukrainien. S’il n’est pas directement cité ni inculpé, pour l’instant, dans cette affaire, Andriy Iermak serait derrière le pseudonyme « Ali Baba » qui apparaît dans les écoutes téléphoniques menées par le Bureau national anti-corruption (NABU).

Selon le député d’opposition Yaroslav Zhelezniak, ce serait une référence aux initiales de son prénom et de son patronyme Andriy Borissovytch. Ce député – comme d’autres, y compris au sein du parti Serviteur du peuple de Zelensky – réclamait depuis des semaines le limogeage du chef de l’administration présidentielle. Ses détracteurs estimaient qu’Andriy Iermak portait atteinte à l’image du pays et fragilisait sa position dans les négociations de paix. Plusieurs élus et publications l’avaient accusé aussi d’étouffer les enquêtes anticorruptions et d’orchestrer des campagnes de dénigrement contre les rivaux politiques du gouvernement.

« ​​​​​​​Il n’y aura pas d’erreur de notre part »

Après les révélations du scandale de corruption, le président l’a quand même nommé chef de la délégation pour les négociations de paix avec les Américains. Andriy Iermak a notamment mené les pourparlers au nom de la partie ukrainienne à Genève, le 23 novembre. Le chef de l’administration présidentielle a, dans le passé, occupé cette fonction de négociateur, rappelle Volodymyr Fessenko, mais dans le contexte du scandale de corruption, « ​​​​​​​c’était un geste très significatif. Beaucoup y voyaient une sorte de « certificat d’immunité » pour Iermak ». Mais les perquisitions menées au petit matin du 28 novembre dans le bureau du chef de l’administration présidentielle n’ont plus laissé d’autre choix à Volodymyr Zelensky que de se séparer de son homme de confiance.

« ​​​​​​​Je veux que personne n’ait de reproches à faire à l’Ukraine, a déclaré le président ukrainien dans une vidéo tournée près de la présidence. Le chef du bureau, Andriy Iermak, a écrit sa lettre de démission. La Russie veut vraiment que l’Ukraine commette des erreurs. Il n’y aura pas d’erreurs de notre part. Notre travail continue. Notre lutte continue. Nous n’avons pas le droit de ne pas continuer, pas le droit de battre en retraite ou de nous quereller. Si nous perdons notre unité, nous risquons de tout perdre, l’Ukraine, notre avenir. »

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