Le plus grand avantage concurrentiel de l’Europe ne réside ni dans le capital, ni dans la réglementation, ni dans la taille du marché. C’est du talent.
Un talent abondant, diversifié et hautement qualifié, historiquement largement réparti dans des écosystèmes nationaux très différents.
Selon le rapport State of European Tech 2025 d’Atomico, 4,6 millions de travailleurs technologiques travaillent aujourd’hui sur le continent, un chiffre jamais atteint auparavant.
En 2016, ils étaient environ la moitié : cela signifie qu’en moins de dix ans l’Europe a doublé sa main d’œuvre technologique, avec un taux de croissance annuel moyen de 9,1 %.
C’est une trajectoire impressionnante, surtout si on la compare aux États-Unis, où la croissance est stable mais moins dynamique. L’Europe se confirme comme le plus grand réservoir de talents technologiques au monde après les États-Unis, et même au-delà dans certaines catégories.
Mais des tendances émergent sous la surface et ne peuvent être ignorées : tout en grandissant, les talents européens continuent de migrer, notamment parmi les fondateurs les plus expérimentés, qui choisissent de plus en plus de déménager leur siège social aux États-Unis.
Il en résulte une tension paradoxale : le continent produit des talents comme jamais auparavant, mais peine à conserver ce qu’il faut pour bâtir des entreprises mondiales.
Un écosystème qui attire et génère toujours plus de talents tech
Les chiffres du rapport témoignent d’une transformation structurelle.

Aujourd’hui:
- il y a 4,6 millions de travailleurs technologiques en Europe
- parmi eux, plus de 3 millions travaillent pour des entreprises européennes (environ 65 % du total)
- en 2016, cette part n’était que de 59 % : cela signifie qu’il reste davantage de talents en Europe, même sur un marché mondialisé.
Le fait le plus intéressant est précisément le suivant : malgré la concurrence internationale, une grande partie des travailleurs technologiques formés, attirés ou élevés sur le continent choisissent de travailler pour des entreprises européennes. Un signe de maturité de l’écosystème, qui propose aujourd’hui :
- salaires compétitifs
- projets technologiques avancés
- des startups qui grandissent vite
- des scaleups qui embauchent des milliers de personnes
- un secteur public qui investit dans la recherche et la digitalisation
Mais le marché du travail européen n’est pas seulement vaste : il est également diversifié. Au cours de la dernière décennie, l’Europe a créé des milliers de postes dans des secteurs émergents tels que :
- IA appliquée
- semi-conducteurs
- technologie climatique
- technologie profonde
- économie spatiale
- quantum
- cybersécurité
Plus seulement des logiciels : l’Europe devient une plaque tournante pour des technologies difficiles, celles au contenu scientifique plus intense.
L’Europe génère 27% des nouvelles startups mondiales
Le continent n’est pas seulement un vivier de travailleurs qualifiés. C’est aussi une usine à entrepreneurs.
Selon le State of European Tech 2025 d’Atomico, l’Europe génère 27 % des nouvelles startups mondiales, un chiffre supérieur à celui des États-Unis et de la Chine en nombre absolu de nouveaux fondateurs.

Ce n’est pas un hasard : ces dernières années, le continent a renforcé les infrastructures de soutien telles que :
- accélérateurs et incubateurs
- programmes de financement public
- des universités orientées vers le transfert de technologie
- réseaux privés et communautés de fondateur à fondateur
Le résultat est un environnement fertile pour ceux qui décident de créer une entreprise.
Mais c’est là qu’apparaît le premier signal d’alarme.
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Des fondateurs expérimentés commencent à déménager leur siège social aux États-Unis
Parmi les plus jeunes fondateurs et leur premier projet entrepreneurial, l’Europe reste le point de départ naturel. Toutefois, parmi les fondateurs les plus expérimentés, la dynamique change.

Le rapport met en avant un fait significatif : la part des fondateurs chevronnés, c’est-à-dire des entrepreneurs expérimentés, qui créent une nouvelle entreprise après une sortie ou un parcours important, qui choisissent d’implanter leur siège aux États-Unis est passée de 10 % à 18 % en quelques années seulement.
Une augmentation de presque le double.
Il ne s’agit pas d’une « évasion », mais d’une tendance qui ne peut être sous-estimée. Car ceux qui déménagent leur siège social sur un autre continent apportent avec eux :
- gouvernance
- investisseurs
- talents clés
- propriété intellectuelle
- capital levé
- relations stratégiques
Le risque n’est pas de perdre les entreprises existantes, mais de perdre les futures avant même qu’elles ne deviennent grandes.
Le grand objectif européen : « le meilleur endroit au monde pour bâtir une entreprise technologique »
La Commission européenne a défini explicitement cet objectif : faire de l’Europe le meilleur endroit au monde pour créer une entreprise technologique. Les gouvernements, les commissaires, les industriels et les décideurs politiques le répètent.
Mais le rapport State of European Tech 2025 d’Atomico montre que cet objectif n’est pas automatique : pour en faire une réalité, de profondes réformes sont nécessaires dans au moins trois domaines critiques.
1. Visas et attirer des talents internationaux
Le continent est compétitif pour former les talents, mais il l’est moins pour les attirer de l’étranger.
Les procédures de visa sont souvent lentes, complexes, différenciées selon les pays et non adaptées aux besoins des startups et des scale-ups. Pour rivaliser avec les États-Unis, le Royaume-Uni, Singapour et les Émirats, il vous faut :
- digitalisation complète des processus
- des délais certains et rapides (jours, pas mois)
- parcours préférentiels pour les profils STEM, IA, deep tech
- visas adaptés aux fondateurs pour les entrepreneurs non européens
2. Stock-options : l’Europe est encore trop en retard
Les stock-options sont au cœur du modèle technologique.

Aux États-Unis et au Royaume-Uni, ils constituent le principal outil de rétention des talents. En Europe, ils sont encore trop pénalisés :
- fiscalité élevée
- des régimes différents dans chaque pays
- peu de clarté réglementaire
- mauvaise portabilité d’un pays à l’autre
Pour un ingénieur senior ou un chef de produit, la différence peut valoir des centaines de milliers d’euros à moyen terme. Ceci explique le choix de nombreux talents seniors de migrer vers des marchés plus « equity-friendly ».
3. Mobilité interne : un marché unique… qui n’est pas vraiment unique
En théorie, l’Europe est un marché sans frontières. En pratique, pour une entreprise en croissance, déplacer du personnel ou embaucher dans un autre pays implique :
- nouvelle réglementation du travail
- nouveaux régimes fiscaux
- diverses protections sociales
- complexités de l’assurance
- conformité supplémentaire
Le rapport State of European Tech 2025 d’Atomico indique clairement que la mobilité des talents est l’un des problèmes les plus critiques de la compétitivité européenne.

Simplifier ces étapes est essentiel pour fidéliser les bonnes équipes.
L’Europe a du talent. Maintenant il doit apprendre à le tenir
L’image finale est claire.
L’Europe a :
- le plus grand bassin de travailleurs technologiques de son histoire
- un taux de croissance supérieur à celui américain
- la part la plus élevée de nouvelles startups mondiales
- un écosystème de recherche parmi les meilleurs au monde
Mais il a aussi :
- un attrait croissant des Etats-Unis pour les fondateurs les plus expérimentés
- options d’achat d’actions non compétitives
- vu lent et irrégulier
- mobilité interne limitée
- un marché qui pénalise souvent ceux qui souhaitent évoluer rapidement
Selon le State of European Tech 2025 d’Atomico, la bataille ne se joue plus sur la quantité de talents disponibles, mais sur la capacité à les transformer en entreprises qui restent et grandissent en Europe.
L’Europe peut-elle vraiment devenir le meilleur endroit au monde pour créer une entreprise technologique ?
La réponse est oui. Mais seulement s’il parvient à moderniser ses politiques migratoires, à harmoniser les stock-options et à rendre le marché du travail véritablement unique.
Le talent est là.
Les entreprises sont là.
Les opportunités sont là.
Il appartient désormais au continent de créer les conditions nécessaires à leur maintien.