Depuis treize ans, l’artiste plasticienne Emi Gutiérrez nourrit en Guyane une œuvre profondément marquée par la notion d’artificialité et par le besoin humain de traduire le monde à travers des systèmes de signes. Solaire et volubile, Emi nous explique la démarche qu’elle poursuit avec « CODES 281125. Espace obsessionnel », sa nouvelle exposition présentée au Centre Pagaret. Une exploration sensible des liens entre réalité, technologie et perception, fruit d’un cheminement artistique mené « au rythme du territoire » .
Un fil rouge : la codification du monde
En Guyane depuis 2012, Emi Gutiérrez expose en moyenne tous les deux ans, un cycle qui lui permet de bâtir des collections complètes et cohérentes. « Deux ans, c’est le temps qu’il me faut pour construire une nouvelle collection, pour montrer un travail abouti », explique-t-elle. Sa nouvelle série prolonge une réflexion amorcée depuis plusieurs années autour de la virtualité et du recours permanent aux interfaces.« Il y a un fil conducteur dans mon travail : cette notion d’artificialité. L’être humain a besoin d’artificialiser l’environnement pour le comprendre, pour le rendre lisible », confie l’artiste.Une résidence au sein d’un laboratoire informatique a renforcé cette interrogation sur le numérique, avant que la période Covid ne l’amène à pousser plus loin sa recherche : « Après le Covid, tout s’est accéléré. On a eu besoin de coder la réalité encore davantage pour continuer à communiquer. »
Pour Gutiérrez, même la Guyane, territoire marqué par la proximité avec la nature, n’échappe pas à cette médiation permanente : « On ne peut plus découvrir un lieu sans nos téléphones. On capte, on traduit, on code. C’est devenu une interface entre nous et le réel. »Au centre Pagaret sont donc exposés 12 sculptures réalisées avec des matériaux de récupération divers agglomérés avec de la résine et une vingtaine de tableaux peints sur papier.
D’Argentine en Guyane : un parcours qui nourrit la création
Originaire de Córdoba, grande ville étudiante et artistique d’Argentine, elle raconte avoir grandi dans un environnement où l’expression visuelle était omniprésente : « Córdoba est très dynamique, très colorée, très marquée par l’art de rue. Cela forge une sensibilité. »L’artiste diplômée des Beaux-arts à Córdoba, séjourne trois ans en Espagne avant de rejoindre la France où elle obtient un master en pratiques artistiques et action sociale. Finalement, Emi et son époux choisissent la Guyane comme « territoire neutre, ouvert, accueillant » où bâtir un projet de vie.
Créer en Guyane : entre potentiel et fragilités
Si la Guyane lui a offert un ancrage, elle souligne aussi la difficulté du milieu artistique local : manque de structures intermédiaires, peu d’espaces d’exposition, réseaux fragiles. « C’est un terrain magnifique, mais c’est un chemin complexe. Il manque des lieux, des passerelles, des galeries, des centres d’art qui nous fédèrent. »Vivre exclusivement de son art dans le département reste, selon elle, très difficile :« Si on dépend uniquement de la Guyane, c’est compliqué. On doit combiner plusieurs disciplines, aller voir ailleurs, créer des interactions avec d’autres territoires. »
Face à l’intelligence artificielle : éduquer au lieu de craindre
Sur la question de l’IA, l’artiste adopte une posture lucide : « Il faut la comprendre pour ne pas en avoir peur. » Elle déplore toutefois le déclin de l’éducation à l’image, à un moment où la société n’a jamais autant consommé de visuels.« Une IA qui produit des images devant un public incapable de les lire, c’est là que réside le danger. »Pour autant, elle ne voit pas la technologie remplacer l’acte artistique : « L’humanité a encore besoin de revenir à ce qu’il y a de plus primitif en elle. L’artiste reste indispensable. »
Le vernissage a lieu ce 28 novembre et l’exposition sera visible du 1er décembre au 19 décembre aux heures d’ouverture du Centre Pagaret