Capture d’écran
Par Jean Daspry, pseudonyme d’un haut fonctionnaire, Docteur en sciences politiques
« Il faut prendre les choses comme elles sont, car on ne fait pas de politique autrement que sur des réalités. Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant ‘l’Europe ! L’Europe ! L’Europe !’ mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien […] Vous en avez qui crient ‘Mais l’Europe, l’Europe supranationale ! Il n’y a qu’à mettre tout cela ensemble, il n’y a qu’à fondre tout cela ensemble, les Français avec les Allemands, les Italiens avec les Anglais’ etc […] Oui, c’est commode et quelquefois c’est assez séduisant, on va sur des chimères, on va sur des mythes. Mais, il y a les réalités et les réalités ne se traitent pas comme cela. Les réalités se traitent à partir d’elles-mêmes ».
Une fois encore, le général de Gaulle fait preuve de clairvoyance lorsqu’il prononce ces paroles, dans un entretien avec Michel Droit, le 14 décembre 1965. C’était il y a soixante ans déjà et ses propos n’ont pas pris la moindre ride à la lumière des développements récents de la (dé) construction européenne ![1] Quelques informations récentes sur les querelles picrocholines qui secouent le machin bruxellois en disent plus que de longs discours sur la dérive de l’Union (la désunion) européenne au fil des années, des mois passées. De quoi s’agit-il ? Du contrôle effectif de la (non) diplomatie européenne par la Commission européenne au détriment de la structure qui en est théoriquement chargée, à savoir le Service européen d’action extérieure (SEAE) [2]. Voilà à quoi s’amuse, passe son temps, la crème de l’élite technocratique bruxelloise ! À de vaines et ridicules batailles de regrattiers. Alors que le monde s’embrase aux quatre coins de la planète, deux péronnelles de haute volée -l es susdites Ursula von der Leyen (allemande) et Kaja Lallas (estonienne) – se cherchent des poux dans la tête pendant que l’Europe s’embrasse.
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Le monde s’embrase
Le moins que l’on soit autorisé à dire est que le monde va mal en 2025. Ceci relève de la tautologie. En dépit de l’activisme du 47ème Président des États-Unis, parfois couronné de succès, le conflit meurtrier en Ukraine, aux portes de l’Europe, se poursuit[3]. Certains, comme le chef d’état-Major des armées, le général Fabien Mandon nous dresse un tableau apocalyptique de la situation lors de son intervention devant le Congrès des maires de France le 19 novembre 2025[4]. Les perspectives de guerre sur le continent nous sont annoncées à l’échéance 2030[5]. Au Moyen-Orient, malgré le plan de paix conclu sous les auspices du malappris à la crinière jaune, Israël et Hamas s’accusent mutuellement de violer le cessez-le-feu[6]. Au Soudan, la communauté internationale reste passive en dépit des milliers de morts, de blessés, de violences faites aux femmes … En RdC, la trêve est fragile alors que l’on ne compte plus le nombre des victimes de violences de toute nature. Au Mali, les djihadistes asphyxient la capitale Bamako qui pourrait bientôt tomber comme un fruit mur. Au Nigéria, on assassine les chrétiens dont le sort n’intéresse que Donald Trump. En Asie, les armes parlent un temps entre Inde et Pakistan, entre Talibans et Pakistan, entre Cambodge et Thaïlande, le ton monte entre Pékin et Tokyo[7], Pékin lorgne toujours sur Taïwan … Les paradigmes du multilatéralisme, de la paix par le droit, par la confiance … sont ignorés. L’ONU comme l’OMC sont aux abonnés absents. La société internationale se montre incapable de relever le défi de l’environnement, du climat, des dérives du numérique[8], de l’intelligence artificielle, des réseaux (a) sociaux, des drones, des guerres hybrides … Le monde du XXIe siècle est passé de la confiance à la méfiance, de la coopération à la confrontation, de la régulation à la dérégulation, de la mondialisation heureuse à la mondialisation malheureuse, du village global aux multiples villages, des trente glorieuses aux trente piteuses …
Face à ce tableau apocalyptique d’un monde sans dessus dessous, l’on aurait pu imaginer que nos têtes bien faites bruxelloises s’agitent pour connaître le passé afin de comprendre le présent et anticiper l’avenir. Vous n’y pensez pas. Elles ont d’autres chats à fouetter.
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L’Europe s’embrase
Au Berlaymont, croyez-vous que l’on fasse de la stratégie pour anticiper et se préparer aux défis et aux menaces de demain ? Que nenni. Les technocrates de haut vol ont mieux à faire que de réfléchir à la guerre et à la paix. Ce sont les querelles de boutique, de Clochemerle qui tiennent le haut du pavé. Cela au moins, c’est du lourd, du sérieux. D’un côté, la présidente de la Commission européenne élargit au fil des jours son champ d’action diplomatique et de renseignement au mépris des textes, souhaitant devenir de facto la ministre européenne des étranges affaires. La frêle Dame se comporte comme un Panzer lourd. De l’autre, la non moins frêle ministre en charge des affaires diplomatiques se fait dépouiller de ses maigres attributions, ne parvenant pas à faire face au « Blitz Krieg » d’Ursula von der Pfizer. Une sorte d’offensive de 1940 assortie d’une étrange défaite qui a pour théâtre le Berlaymont. Avec nos amis allemands, c’est souvent, chassez le naturel, il revient au galop.
Sur l’Ukraine, des Européens humiliés découvrent l’existence d’un plan de paix américain par la presse[9], projet qui a été discuté dans leur dos et fait la part belle aux revendications de Moscou[10]. À ce stade, Volodymyr Zelensky reste sur une prudente réserve[11]. Dame Kaja Kallas, Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité depuis le 1er décembre 2024 – un Ersatz de ministre européen des affaires étrangères – peut bien pousser des cris d’orfraie à la découverte du pot aux roses (« La paix en Ukraine ne peut se faire sans les Européens ») mais plus personne ne l’écoute si tant est que sa voix n’ait jamais été audible dans le concert des nations[12]. Cette ex-première ministre estonienne est parfaite dans son rôle d’idiote utile des Vingt-Sept incapables de faire pièce au tandem Trump-Poutine[13]. L’Obersturmbahnführer (in) von der Leyen déclare urbi et orbi que la paix ne peut se faire sans les Ukrainiens et les Européens. Cause toujours, tu m’intéresses ! Une fois de plus, les Européens subissent les évènements plutôt qu’ils ne les provoquent[14]. Leurs objurgations sont vaines face au rouleau compresseur Trump/Poutine[15].
Au Moyen-Orient, l’Union européenne est marginalisée alors que Donald Trump trace son chemin, obtient la libération des otages, un cessez-le-feu, le vote d’une résolution au Conseil de sécurité de l’ONU sur le conflit avec abstention chinoise et russe[16]. Sur le sujet, les Vingt-Sept sont divisés et l’initiative française sur la reconnaissance de la Palestine fait pschitt après la présentation du plan de paix américain. Vers qui le prince MBS se tourne-t-il pour obtenir des garanties de sécurité ? Vers l’Amérique tout naturellement et certainement pas vers l’Union européenne et sa mauvaise troupe. La visite de MBS n’est pas un simple rendez-vous diplomatique. C’est un portrait du nouvel ordre mondial : un système où les droits humains deviennent une variable secondaire et où les grandes puissances utilisent l’argent, les armes et l’influence géopolitique comme uniques critères d’alliance. Dans ce monde-là (auquel l’Union européenne est étrangère), celui qui possède les capitaux a aussi le pouvoir de réécrire l’histoire[17].
Sur l’imposition d’importants droits de douanes par l’administration américaine, la Gauleiterin von der Leyen se couche avec le sourie devant Donald Trump. Pour leur part, les Vingt-Sept tentent de limiter les frais sur une base bilatérale, se souciant peu de ce qui se trame ou pas à Bruxelles. Où est et que fait l’Europe qui fait la force dans les paroles mais qui est inexistante dans les actes. Un classique bruxellois qui se confirme à l’occasion de chaque grande crise internationale. L’Europe n’existe que dans les chimères de certains « fédérastes ».
Et, cette liste de Bérézina européennes n’est pas exhaustive, n’étant qu’indicative.
Quant à la France, elle se débat avec le sparadrap du capitaine Haddock qui a pour nom accord UE-Mercosur[18], « fruit pourri de décennies d’errance productiviste de la PAC »[19]. Et Jupiter s’amuse, comme il peut, avec « Choose France », « One Health Summit », ses voyages en Amérique, en Afrique, ses mises en garde sur les dangers des réseaux sociaux pour nos chères têtes blondes[20]. Nous sommes bien en peine de trouver chez le « Mozart de la diplomatie » le moindre discours de stratégie et de prospective cohérent et visionnaire qui éclaire la voie de la France mais aussi de l’Europe. Gouverner, c’est avant toute chose, communiquer.
Pour la bonne bouche, que dire de toutes ces féministes de salon – étrangement muettes sur le sort des femmes en Afghanistan, Iran – qui nous expliquaient, il y a peu encore, que lorsque la gente féminine aurait en mains la destinée de l’Europe, tout irait mieux qu’avec ces affreux machistes incompétents et dominateurs ? Avec ce dernier épisode de la saga UVL-Kallas, nous sommes servis. Mais, rares sont ceux qui mettent le doigt où ça fait mal. Pourquoi ? Certaines vérités crues ne seraient-elles pas bonnes à dire ?
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L’Europe est nue
« Le réel, c’est quand on se cogne ». Une fois encore, le psychanalyste, Jacques Lacan fait preuve de clairvoyance avec cette citation très en vogue des années soixante. C’était il y a soixante ans déjà et ses propos n’ont pas pris la moindre ride à la lumière des développements récents de la (dé) construction européenne ! En réalité, le réel, n’est-il pas ce qui nous empêche de flotter hors du monde ? N’est-ce pas la fâcheuse mésaventure que connaît une Union européenne déboussolée qui ne sait plus à quel saint se vouer si ce n’est à Eris, la déesse de la discorde dans la mythologie grecque ? Et dire que certains de nos intellectuels et autres politiques de bas étage ont encore le toupet de nous vanter les mérites incommensurables de cette Europe imaginaire, chimérique qui nous défendrait efficacement contre les méchants et autres infréquentables de la Terre. En dernière analyse, cette séquence, qui mérite une franche rigolade, nous rappelle les bons souvenirs, les délices de la lecture de la bande dessinée de Louis Forton de notre enfance. Elle pourrait avoir une suite intitulée Les Pieds Nickelés à Bruxelles.
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Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur
[1] Paul Dahan, Réflexions sur les modalités et vicissitudes de la construction européenne, Questions internationales, La Documentation française, n° 134, décembre 2025-janvier 2025, pp. 112 à 117.
[2] Philippe Jacqué, Bataille pour le contrôle de la diplomatie à la Commission européenne, Le Monde, 20 novembre 2025, p. 6.
[3] Sylvie Kauffmann, La guerre russe change d’échelle, Le Monde, 14 novembre 2025, p. 33.
[4][4] Elsa Conesa, Les propos du général Mandon, une position partagée en Europe, Le Monde, 23-24 novembre 2025, p. 5.
[5] Antoine Margueritte, Discours « martial » au congrès des maires de France : un chef d’état-major devrait-il dire çà ?, www.marianne.net , 20 novembre 2025.
[6] Luc Bronner, L’État hébreu multiplie les offensives tous azimuts, Le Monde, 22 novembre 2025, p. 3.
[7] Harold Thibault, Les tensions s’exacerbent entre la Chine et le Japon, Le Monde, 21 novembre 2025, p. 7.
[8] Nathalie Segaunes, Macron au défi d’agir sur la régulation du numérique, Le Monde, 11-12 novembre 2025, p. 10.
[9] Giuseppe Gagliano, Le plan de paix de Trump pour l’Ukraine : pour Kiev, cession du Donbass et fin des ambitions dans l’Alliance. L’Union européenne humiliée, www.lemedia.fr , 20 novembre 2025.
[10] Benjamin Quénelle/Philippe Ricard, Négociations américaines dans le dos des Européens, Le Monde, 21 novembre 2025, p. 4.
[11] Thomas d’Istria, Kiev prudent sur le plan de paix russo-américain, Le Monde, 22 novembre 2025, p. 4.
[12] Philippe Jacqué, Les Européens opposés à une « capitulation » de Kiev, Le Monde, 22 novembre 2025, p. 4.
[13] Éditorial, Ukraine : le péril pour l’Europe d’un axe Trump-Poutine, Le Monde, 22 novembre 2025, p. 31.
[14] Claire Gatinois/Piotr Smolar, L’Ukraine sous pression maximale, Le Monde, 23-24 novembre 2025, p. 2.
[15] Piotr Smolar (propos recueillis par), Fiona Hill : « La Maison Blanche veut que l’Ukraine capitule face aux demandes russes », Le Monde, 23-24 novembre 2025, p. 4.
[16] Alain Frachon, Un an de Trump au Moyen-Orient, Le Monde, 21 novembre 2025, p. 26.
[17] Guiseppe Gagliano, Trump, MBS et le retour du réalisme brutal sans état d’âme, www.lemedia.fr , 21 novembre 2025.
[18] Virginie Malingre, UE-Mercosur : la France veut éviter l’isolement, Le Monde, 21 novembre 2025, p. 13.
[19] Gilles Luneau, L’accord UE-Mercosur est le fruit pourri de décennies d’errance productiviste de la PAC, Le Monde, 23-24 novembre 2025, p. 26.
[20] Nathalie Segaunes, Macron s’impose dans la presse locale, Le Monde, 21 novembre 2025, p. 9.
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