Peut-on régénérer une ville grâce au design? C’est le pari lancé depuis plusieurs années par Saint-Étienne dans la Loire. Après la création de la Biennale internationale du design en 1998 et de la Cité du design en 2009 sur le site de l’ancienne Manufacture d’armes, la métropole a engagé un vaste plan de rénovation urbaine qui doit aboutir à partir de 2026. L’agence Saguez & Partners accompagne la métropole dans ce projet baptisé District Créatif.
La 14e commune de France a accumulé les revers depuis les années 1970 : le déclin industriel et minier, la fin de l’épopée footballistique des Verts, la concurrence de Lyon et sa situation en marge du couloir rhodanien, plus récemment la crise du groupe Casino, sans oublier l’affaire de chantage dans laquelle est impliqué le maire Gaël Perdriau. Et pourtant la chute démographique a été enrayée – la population se stabilise autour de 172 000 habitants –, Saint-Étienne fait partie du réseau des villes créatives de l’Unesco, aux côtés de Turin, Bilbao ou Détroit, elle a même été désignée en 2020 « ville la plus foot de France » par le magazine France Football. Elle accueille des entreprises de pointe dans la métallurgie, des pôles de recherche, de nombreuses écoles (École nationale supérieure art et design, Télécom, École des mines, Université Jean-Monnet…), la Comédie, centre dramatique national, le Fil dédié aux musiques actuelles, un Zénith réalisé par l’architecte star Norman Foster…
Olivier Barbé, directeur de la communication de la ville et de la métropole, explique la problématique : « Saint-Étienne est constitué de zones cloisonnées : le quartier d’affaires face à la gare, le Parc François-Mitterrand comprenant le Parc des expositions et les lieux culturels, les anciens bâtiments de la Manufacture d’armes que les habitants n’ont pas l’habitude de traverser, des quartiers populaires au milieu… Le District Créatif a pour but de décloisonner ces espaces et d’amener les populations vers de nouvelles activités. Saint-Étienne 2.0, c’est créer de nouveaux lieux de rencontres, imaginer un design qui rend des services à la population. »
Un fil rouge jaune soleil
Habituée aux projets d’ampleur comme la rénovation de quartiers à Saint-Ouen et Hambourg, Saguez & Partners travaille depuis trois ans sur ce programme de régénération qui représente 15 hectares et 60 millions d’euros d’investissement public. Pour matérialiser le lien entre les différents quartiers, elle a créé une identité graphique en gros caractères, où le D et le C jouent les premiers rôles, déclinés en vitrophanies, bannières, signalétique… La couleur jaune soleil apposée sur les arrêts de bus et de tramway doit servir de « fil rouge » entre les zones. Le « design qui rend service » s’incarne dans le mobilier urbain modulaire, comme cette boîte à livres et à messages qui comprend aussi des jeux pour les enfants, fabriquée par une entreprise locale, la Tôlerie forézienne.
Soucieuse de parler à tous les publics et de ne pas être réservée à une élite, la Cité du design accueille la Cabane, un lieu en libre accès où les enfants peuvent s’initier au design. La Platine, l’espace d’exposition étrangement placé à l’entrée de l’ancienne Manufacture, bloquant la vue sur les bâtiments historiques, va être ouverte pour faciliter la circulation. Difficile d’imaginer que jusqu’en 2001, date de fermeture du site de production du Famas (acronyme de « Fusil d’assaut de la Manufacture d’armes de Saint-Étienne »), le quartier était classé secret défense et interdit au public. Aujourd’hui on y trouve la Fabuleuse Cantine, un restaurant en circuit court, et la Tour observatoire, une structure tubulaire qui permet de surplomber toute la ville. En 2026 ouvrira la Galerie nationale du design, un lieu d’exposition de pièces emblématiques du design issues des collections du Centre Pompidou, du Mobilier national, du Musée des Arts décoratifs… Un hôtel thématique est prévu, avec le groupe Yooma. « Ce projet englobe beaucoup d’activités scientifiques, culturelles, récréatives, productives avec un même fil conducteur : le design des usages, la recherche, les nouvelles technologies et la formation. On veut créer des lieux connecteurs pour réduire les distances entre les habitants », souligne Olivier Saguez, président fondateur de l’agence. Celle-ci a aussi pour rôle d’aider aux communications entre les différents acteurs.
Saint-Étienne va-t-elle devenir un lieu de destination branché, tout en répondant aux besoins des habitants? Xavier Chantre, chef de projet à la métropole, y croit dur comme fer, malgré les vicissitudes politiques. Il a porté la candidature pour faire de Saint-Étienne un pôle territorial design, dans le cadre de France 2030. Cette reconnaissance nationale permettrait de bénéficier de 4 millions d’euros de l’État pour développer de nouveaux services et assoir le statut de capitale du design. Pour ce fonctionnaire opiniâtre, « la démarche est suffisamment avancée pour nous permettre d’enjamber les élections municipales et être pleinement opérationnels en 2027, pour la prochaine Biennale ». À se demander si les initiatives ne sont pas plus efficaces quand les politiques ne s’en mêlent pas.