« Messieurs, dames, bonjour ! On va vérifier vos titres de transport ». Dans chaque bus et tramway contrôlés, les agents du GSCT (Groupe Sûreté Contrôle Transport) de Lignes d’Azur répètent cette phrase comme un mantra.
Pourtant, au-delà de cet objectif principal de lutte contre la fraude, ils assurent aussi la sécurisation du réseau et garantissent une présence dissuasive. Immersion dans leur quotidien.
En uniforme ou en civil, la petite centaine de contrôleurs a des horaires variables pour s’adapter aux plannings de contrôle.
« On détermine les zones et les horaires en fonction des remontées des agents. Il faut toujours avoir un tour d’avance sur ceux qui essayent de prédire où on sera », sourit Yann Mancuso, le patron du GSCT.
Ce qu’il y a de sûr, c’est que chaque ligne, tram comme bus, est contrôlée au moins une fois dans l’année.
60 euros d’amende pour un voyage sans titre
16 heures. Ce jour-là, une dizaine d’agents part pour une opération à Cagnes-sur-Mer avec les polices nationale et municipale, sur réquisition du procureur de la République de Nice.
Objectif du jour : contrôler un maximum de véhicules, avec des inspections plus poussées. Il est prévu que les agents contrôlent les voyageurs, bus à l’arrêt, avant de laisser repartir le véhicule et contrôler le suivant.
À l’arrivée du premier, chaque contrôleur se positionne, deux par porte, pour bloquer la descente.
Sur une trentaine de passagers, sept n’ont pas de titre de transport valide. L’un d’entre eux, un jeune à peine majeur, bonnet sur la tête, se laisse faire sans rechigner.
Il descend du bus et écope de 60 euros d’amende en payant sur place (ce serait 110 euros en payant plus tard, dans les trois mois).
« En cas de non-paiement, on envoie la fiche d’infraction au Trésor public, qui se charge d’encaisser en prélevant sur salaire, par exemple. Donc nous avons un très bon taux de recouvrement », se réjouit Yann Mancuso.
À l’arrivée du bus suivant, les contrôleurs repèrent trois hommes tentant de valider à la vue des contrôleurs. Impossible, car les valideurs sont rendus indisponibles en cas de contrôle.
Les jeunes, un peu agités, sont invités à descendre du bus, mais renâclent à présenter leur pièce d’identité.
Les contrôleurs ne peuvent pas les en contraindre, mais la police hausse le ton. Deux d’entre eux, en fraude, sont verbalisés.
Environ 10 % des voyageurs en fraude
Les contrôles s’enchaînent. Une dame aux cheveux blancs, équipée d’une canne, est invitée à sortir d’un autre bus. Elle aussi voyage sans titre. « Il n’y a pas de profil type du fraudeur », observe Yann Mancuso.
Comme beaucoup, elle tente de s’expliquer. Mais comme tout le monde, elle est verbalisée.
« J’écrirai à qui de droit ! », s’emporte-t-elle. Chez Lignes d’Azur, la tolérance zéro est assumée. « C’est pas marrant. Surtout que certains sont dans la merde, et auraient pu se servir de ces 1,70 euro pour manger. Mais on doit traiter tout le monde pareil. Ailleurs, les contrevenants ont parfois l’habitude d’échapper à la sanction. Ce n’est pas le cas ici », indique le chef des contrôleurs.
Sur sept bus contrôlés avec environ 400 passagers, 44 ont été verbalisés et 1 000 euros récoltés dans l’immédiat.
D’autres payeront leurs amendes plus tard. Un bilan dans la moyenne.
Le soir venu, une seconde équipe de contrôle se réunit sur la promenade des Anglais, à Nice. Elle fait partie de la brigade de nuit du GSCT, créée en 2023, pour accentuer la sécurisation du réseau dès 18 heures.
Une passagère est contrôlée sans titre valide. Les contrôleurs l’invitent à descendre du bus, puis l’encerclent sur le quai.
« Elle est sous notre responsabilité et nous devons assurer sa sécurité. On se met souvent au bord du quai, pour éviter que la personne tombe ou puisse être fauchée par une voiture. D’extérieur, on dirait qu’on met la pression et certains nous le reprochent », regrette Yann Mancuso.
34.000 verbalisations en 2024
Il est vrai que les contrôleurs ont parfois mauvaise presse, comme beaucoup de métiers de la sécurité. Leur patron reçoit chaque jour une vingtaine de réclamations d’usagers en colère, ce qui engage systématiquement une enquête interne. Cette fois, la passagère a le sourire. « Je prends les transports tous les jours et je ne suis jamais contrôlée. Donc je préfère payer 60 euros d’amende que prendre un abonnement à 360 euros par an », fanfaronne-t-elle. Ce qui agace Yann Mancuso. « Elle a de la chance de passer entre les mailles du filet, car 3,7 millions de personnes sont contrôlées chaque année sur le réseau, à toute heure de la journée », grince-t-il.
Si la régie Ligne d’Azur ne souhaite pas communiquer sur le produit total des amendes, elle chiffre à 34.000 le nombre de verbalisations en 2024.
Ce qui, en prenant comme base une amende moyenne de 60 euros, conduit à plus de deux millions d’euros de rentrées par an. Une façon, dans un sens, de récupérer les recettes manquées par l’absence de titres chez les resquilleurs.
Pourtant, aucune prime pour les contrôleurs, assure la direction. À la SNCF, les contrôleurs perçoivent une commission de 4 à 10 % sur chaque amende, révélait Le Parisien en 2024.
« On ne veut pas de ce système, ce ne serait pas très sain. En revanche, on a des objectifs sur le nombre de personnes et de lignes contrôlées », précise le patron du GSCT.
Un rôle humain et social
20 heures. Sur la fin du contrôle, un groupe de quatre adolescents est contrôlé sans titre à bord d’un bus. Un des jeunes, 16 ans, a le regard vide et semble dans un état second.
Une fois assis sous l’abribus, il fond en larmes et pleure sa mère, décédée d’une overdose de médicaments. Son père en prison, il est en famille d’accueil. Il semble alcoolisé et tient des propos suicidaires. Les contrôleurs ne le laissent pas repartir.
« Si on le laisse comme ça et qu’il lui arrive quelque chose, on va s’en vouloir », avoue Yann. L’un d’eux saisit son téléphone et contacte « Hermès », le poste de sécurité qui pilote l’intégralité du réseau.
Un agent y veille, derrière un mur d’écrans, avec un accès aux caméras de surveillance de toutes les stations, à la carte du réseau en temps réel et aux caméras intérieures des rames et des bus.
Le poste demande l’intervention des pompiers et de la police nationale, pour mettre le jeune homme en sécurité. Il repartira, en criant, dans le camion des pompiers.
Être contrôleur, c’est donc aussi avoir un rôle humain, parfois oublié des usagers.